Allocutions et interventions

Allocution prononcée par Fidel Castro Ruz, premier secrétaire du Comité central du Parti communiste de Cuba, président du Conseil d'Etat et du Conseil des ministres, à la bienvenue offerte à la délégation sportive de retour de Baltimore sur l'escalier d'honneur de l'Université de La Havane, le 4 mai 1999

Date: 

04/05/1999

 


Chers compañeras et compañeros,

Je savais que je n'y échapperais pas et que je devrais dire quelques mots à ce meeting. Et de fait, il y a certaines choses à dire.

En premier lieu, bien entendu, que personne n'a fermé l'oeil depuis je ne sais combien d'heures à cause des émotions du match d'hier1 qui a été vraiment incroyable, avec le froid, la pluie, l'interruption de la partie et tous les inconvénients que cela représentait pour la stratégie et la tactique de notre équipe. Alors, si vous avez un peu de patience, si certains de ce côté-ci veulent bien se taire même s'ils entendent mal, je crois que je dois dire un certain nombre de choses.

Tout d'abord, que cette allégresse n'est pas quelque chose de courant, que cette victoire sportive, nous pourrions l'appeler un événement vraiment historique. Pour plusieurs raisons. Entre autres, parce que c'est la première fois sur ce continent qu'une équipe amateur - constituée en l'occurrence de jeunes et modestes compatriotes - se heurte à une équipe des Grandes Ligues des Etats-Unis.

Voilà bien longtemps que nous souhaitions pouvoir juger des progrès de notre sport et savoir ce qu'il se passerait en cas d'une rencontre de ce genre.

Dire Grandes Ligues, c'est tout dire. Dire Grandes Ligues, c'est parler de l'élite de ce qui est le sport national aux Etats-Unis, le sport préféré, le plus traditionnel et le plus renommé, autrement dit le base-ball.

Quand j'étais étudiant comme vous, les Grandes Ligues étaient le nec plus ultra. Et, encore de nos jours, dire amateur, c'est parler de dilettantes incapables de s'opposer à une équipe de pros.

Nous autres, nous avions déjà eu des rencontres avec de fortes équipes nord-américaines non professionnelles. En boxe, par exemple, où nous avons été champions du monde pendant bien des années et où nous disposons de boxeurs toujours plus nombreux et solides.

Des rencontres avec des Nord-Américains, nous en avons eues beaucoup, ici ou là-bas, en volley-ball, en athlétisme et dans bien des sports. Mais il existe des sports qui prennent des caractéristiques spéciales, qui deviennent un grand spectacle, qui possèdent énormément d'aficionados dans le monde et qui supposent donc de gros revenus à la clef.

Il est difficile qu'un cycliste touche de gros revenus, il est difficile de professionnaliser le cyclisme, ou alors les archers, ou l'haltérophile, ou les coureurs d'une olympiade.

D'autres sports possèdent des caractéristiques différentes pour la raison que j'ai dite. Le football, par exemple. Les bons footballeurs sont très cotés, les bons joueurs de base-ball aussi, ou encore les bons boxeurs. Mais en base-ball, parce que c'est le sport préféré de la nation qui possède les plus grosses ressources économiques, de la nation la plus riche du monde et qui détient en plus les plus importantes chaînes de télévision, de radio, de journaux, autrement dit qui possède la maîtrise des médias, qui dispose de tout l'argent qu'elle veut et n'arrête pas d'acheter des sportifs dans le monde entier, de la même manière qu'elle achète des scientifiques, des chercheurs, des artistes, en base-ball, donc, il est très difficile de rivaliser avec elle.

Que pouvons-nous offrir, nous autres, à nos athlètes, et, de fait, que leur avons-nous offert tout au long de ces années de Révolution ? De l'effort, des sacrifices, une vie modeste. Et puis la possibilité de s'éduquer, d'épanouir leurs capacités, de choisir leur sport préféré.

Quand nous avons commencé à développer plus fortement le sport, c'étaient des travailleurs d'usines ou des employés qui participaient aux compétitions, et il fallait que les employeurs leur donnent un congé sportif et continuent de leur verser leurs salaires. Après, chaque branche s'est peu à peu spécialisée, entre autres le base-ball. En fait, au bout de quelques années, les sportifs ne sortaient plus essentiellement des usines, ils sortaient des écoles, car c'est là que le sport a commencé à se pratiquer massivement, et dans certaines disciplines dès le plus jeune âge. Ensuite, les sportifs venaient des écoles sportives du niveau de secondaire ou de la faculté de niveau supérieur.

Que pouvions-nous offrir à ces jeunes gens ? La possibilité de faire des études universitaires dans le domaine de l'éducation physique et du sport, pour leur permettre de vivre ensuite décemment comme professeurs de sport, chercheurs et formateurs de nouveaux athlètes. Et voilà pourquoi le gros des meilleurs athlètes des différentes disciplines étaient en même temps des élèves de l'Institut supérieur d'éducation physique et de sports Manuel Fajardo. Notre première préoccupation était que chacun d'eux puisse faire des études universitaires.

Si les écoles se sont multipliées, c'est parce que nous considérions le sport non comme une profession, mais, comme je l'ai dit bien des fois, comme un droit du peuple, une conquête du peuple, comme le droit de tous les enfants, de tous les jeunes, de tous les adolescents, de tous les adultes et même des plus âgés de faire, sinon du sport, du moins de l'éducation physique, le droit de toute la jeunesse au sport comme garant de la santé et du bien-être.

Notre pays a diplômé toutes ces années-ci plus de 30 000 professeurs d'éducation physique et de sport. Je ne sais combien sont sortis du Fajardo, mais cela doit faire plusieurs milliers. (On lui dit 35 000.) Du Fajardo, de l'Institut supérieur ? (José Ramón Fernández, un des vice-présidents du Conseil d'Etat et président du Comité olympique cubain, lui dit : du Fajardo, 25 000.) Oui, de tout le pays, je sais, parce que ça a pris de l'ampleur.

Vous incluez dans ce chiffre les professeurs d'éducation physique et de sport ? (José Ramón Fernández lui dit que le Fajardo a diplômé 25 000 élèves entre entraîneurs et professeurs d'éducation physique, parce que les anciens ont eu aussi la possibilité de faire des études.) Ah, de niveau supérieur. Oui, mais les écoles secondaires en ont formé des dizaines de milliers. (On lui dit : plus de 30 000.) Plus de 30 000, d'accord.

Voilà l'effort que nous avons fait à partir d'une conception. Et notre pays est sans aucun doute celui qui possède le plus de professeurs d'éducation physique et de sport par habitant au monde, comme cela se passe avec les professeurs de l'enseignement général et avec les médecins. Le sport a été conçu chez nous en faveur du peuple, jamais comme une profession. À l'époque où la Révolution triomphe et développe le sport, l'amateurisme existait vraiment dans les compétitions internationales, et seuls les amateurs participaient aux Jeux olympiques, comme cela avait été conçu au départ. Mais ces idées ont fini par être dénaturées, modifiées et corrompues par le mercantilisme, si bien que, loin de protéger le concept d'athlète amateur, on a vu au contraire toutes ces années-ci se professionnaliser pratiquement tous les sports et que les professionnels ont maintenant le droit de participer aux olympiades. Et vous voyez apparaître les fameuses «équipes de rêve», comme en basket à Barcelone, avec une sélection des meilleurs pros des Etats-Unis, ce qui ne sert bien souvent qu'à humilier les pays qui ont peu très peu de ressources, les pays qui n'ont pas d'instructeurs, de professeurs, d'établissements d'enseignement, d'installations sportives, ni toutes les choses que possède par exemple notre pays, bien qu'il soit du tiers monde.

Ces compétitions servent bien souvent à tenter de prouver la supériorité nationale, voire raciale, des pays riches, des nations développées, à humilier les autres peuples, bien que certains des meilleurs athlètes des pays riches proviennent bien souvent de pays pauvres. Il est très difficile qu'un pays africain parvienne à réunir les ressources nécessaires pour disposer d'une bonne équipe de foot, si bien que les footballeurs africains finissent par se retrouver dans les équipes des pays industriels, qui possèdent les ressources, l'argent, et qui récupèrent les athlètes.

Nous autres, pendant des années, nous avons dû nous battre très fort face à cette concurrence toujours plus déloyale, à cette politique consistant à enlever leurs athlètes à d'autres pays. Cuba n'a jamais enlevé un seul athlète à aucun pays du monde. Au contraire, nos professeurs et nos entraîneurs ont travaillé par milliers dans de nombreux pays, et de nombreux sportifs étrangers se sont formés ici, mais nous n'avons jamais volé un seul athlète à un autre pays.

Nous avons formé nos sportifs pour qu'ils servent le peuple, pour qu'ils lui apportent de la joie, de la gloire, de l'honneur, et nous pouvons dire en premier lieu que nos athlètes ont apporté bien de la gloire et bien de l'honneur à notre peuple, des satisfactions et des joies infinies (applaudissements).

Celui qui a pris la parole ici, ce n'est pas Omar Linares2 - ou le niño Linares, comme vous l'appelez affectueusement (applaudissements) - mais un enfant de ce pays qui a refusé un contrat de quarante millions de dollars pour passer au professionnalisme (exclamations et applaudissements). Au nom d'anciens sportifs, Stevenson3 aurait pu prendre la parole, lui qui a aussi refusé des offres de plusieurs millions (applaudissements), et bien d'autres encore.

Que se passe-t-il donc en base-ball ? C'est la plus grande distraction dans notre pays. Nous n'avons même pas la possibilité, parce que nous sommes en butte au blocus, de chercher d'autres sources de revenus à nos joueurs maintenant que tout s'est professionnalisé, comme je le disais. Dans la période qui vient, notre équipe doit se préparer pour les Jeux olympiques. Ou plutôt, avant, pour Winnipeg4, l'étape intermédiaire qui donnera la classification à ceux-ci. Et nous savons ce que plusieurs pays sont en train de faire : recruter des professionnels à droite et à gauche dans l'idée qu'ils pourront ainsi déplacer Cuba de son poste et participer aux Jeux olympiques à sa place. Nous espérons que cette idée leur sera totalement passée de la tête depuis hier soir. Ils peuvent bien réunir, que sais-je ?, tous ceux qu'ils veulent, et aucun d'ailleurs ne pourra réunir tous ceux qu'il veut ! Il ne fait aucun doute que l'équipe des États-Unis peut être forte, forte, et même très forte. (On lui dit quelque chose.)

Oui, mais d'autres équipes, et même de pays des Caraïbes, prévoient d'employer des professionnels pour occuper une des deux places qui correspondent à notre continent pour les prochains Jeux olympiques et nous laisser sur la touche.

Nos joueurs de base-ball, je vous le disais, occupent pendant une bonne partie de l'année l'attention sportive du pays. C'est un fait. Le rôle que le foot a fini par jouer dans de nombreux autres pays, à Cuba c'est le base-ball qui le joue. Et nous avons besoin de nos joueurs ici, dans notre pays.

Nous ne savons pas comment le sport évoluera dans les années futures, mais nous devons pour le moment nous battre contre toute tentative de nous arracher nos sportifs. La première compétition, nous devons la livrer contre ces bandits qu'on appelle des scouts. Je ne veux pas dire par là que tous les scouts en soient, mais nous connaissons en revanche bon nombre de bandits qui se consacrent à cette tâche, à la fois de mercanti et de politicard, consistant à tenter d'acheter nos athlètes. Voilà la première bataille. Les Etats-Unis les soutiennent pour des motifs évidents de harcèlement et de propagande contre-révolutionnaire.

Pourquoi avons-nous pourtant tant de joueurs et tant de bons joueurs dans ce sport ? Parce que, par chance, nous pouvons compter sur de nombreux jeunes d'une dignité et d'un patriotisme extraordinaires ! (Applaudissements.) Et qui méritent la reconnaissance du peuple.

Une des premières choses qu'il fallait faire à l'occasion de ce match historique, c'était de rappeler de nombreux brillants joueurs de base-ball qui ont donné de la gloire, beaucoup de gloire à notre pays. Et voilà pourquoi plus de cent anciens joueurs ont fait partie de la délégation qui a encouragé notre pays sur le stade de Baltimore. Vous ne pouvez vous imaginer leur bonheur quand ils se sont rendus compte qu'on se souvenait d'eux pour assister à un match auquel ils n'ont pas pu participer, eux, parce qu'ils n'ont jamais pu mesurer leurs forces à celles de ces équipes-là. Les années se sont écoulées, une nouvelle génération de joueurs a vu le jour, et ils ont eu le plaisir de se retrouver là-bas, au premier rang, aux côtés des nouvelles valeurs, pour assister à cet événement historique. Ils ne possèdent pas de richesses matérielles, mais ils sont les possesseurs d'une patrie sans maîtres qui les admire et les rappellera à jamais.

Nous nous sommes dit : on ne peut jamais oublier ces anciens sportifs. Nous ne pouvons pas leur donner les millions que leur offraient les scouts, mais nous pouvons parfaitement leur donner toute la reconnaissance du monde, tous les honneurs qu'ils méritent et toutes les satisfactions matérielles dont ils ont besoin. Dont ils ont besoin, ce qui ne veut pas dire ambition de richesses, non. En tout cas, on se souviendra toujours d'eux, et dans la mesure où la situation économique du pays s'améliorera, dans cette même mesure il faudra améliorer en priorité la vie de ces joueurs et de ces athlètes qui ont tant fait pour leur pays et que personne n'a pu acheter pour aucune somme d'argent (applaudissements).

Le sport a donné beaucoup de prestige à notre pays, et celui-ci doit compenser ces athlètes, qu'ils soient ou non des disciplines les mieux cotées sur le marché. Ainsi, tous ces sportifs qui ont donné tant de preuve de loyauté à leur patrie et tant de preuves de désintéressement occuperont la place digne qui leur correspond dans la société et seront rappelés avec affection par leur peuple même après leur mort.

Nous attribuons une importance extraordinaire à ce match historique, parce qu'il démontre la grandeur des valeurs humaines et morales. L'exemple que nos joueurs ont donné est très grand. Je me demande s'il y a beaucoup d'exemples dans le monde des cas que j'ai cités ici, et si ces valeur-là peuvent mûrir dans un pays qui ne serait pas patriotique, vraiment digne et révolutionnaire. Parce que le drapeau ne se vend pas, la patrie ne se vend pas, la loyauté au peuple ne se vend pas, et la plus grande gloire de nos sportifs les meilleurs et les plus admirés est justement que ce sont des sportifs qui ne se vendent pas ! (Applaudissements.) C'est donc à eux que s'adresse en premier notre reconnaissance.

Nous avons pu mesurer la force et la capacité de ces hommes avec celles d'une grande équipe d'un pays où ce sport, comme je l'ai dit, est le sport favori et dispose d'énormes ressources. Les salaires conjugués de chacune des équipes des Grandes Ligues se montent à des dizaines et des dizaines de millions de dollars par an, et atteignent parfois 40, 50, 60 millions et plus.

En fait, vous avez là une compétition, pour ainsi dire, entre deux conceptions : notre concept du sport et le concept du sport professionnel; le concept du sport comme droit du peuple, comme privilège et source de santé et de bien-être de tout un peuple, et le concept du sport comme objet de marché et sources de revenus et d'enrichissement personnels. Ces deux idées s'opposaient dans le match d'hier.

Et on ne pourra plus maintenant mépriser les sportifs amateurs, non, on ne pourra plus les sous-estimer.

On verra bien comment évoluera le sport dans le monde, car personne ne sait où il va aboutir avec cette triste transformation, pour le moment irréversible, du sport amateur et des Jeux olympiques en une compétition ouverte aux professionnels. Je me demande quelles possibilités il reste aux pays pauvres, autrement dit à l'immense majorité des pays.

Avec sa conception révolutionnaire du sport, Cuba a l'honneur d'avoir été le seul pays latino-américain à battre les Etats-Unis à des Jeux panaméricains, justement ceux qui se sont déroulés dans notre pays. La seule fois dans l'histoire. Ce qui est là une preuve de l'effort consenti, de la qualité de nos athlètes, du système sportif que nous avons mis en place.

Bien qu'elle soit en butte à un blocus et un petit pays, Cuba est réellement aujourd'hui, sans discussion, le seul rival sportif des Etats-Unis sur ce continent (applaudissements). Et le prestige qu'elle a acquis est tel que le stade de Baltimore était archi-comblé et que toutes les places avaient été vendues plusieurs jours à l'avance. Pourquoi ? Parce que des millions de Nord-Américains souhaitaient aussi voir une équipe des Grandes Ligues affronter l'équipe du pays qui est champion du monde amateur depuis bien des années.

Le premier étonnement date du match aller à La Havane. Comme vous le savez, nous étions alors à la fin de notre championnat, un excellent championnat qui a drainé les foules, au point qu'il y avait fort longtemps que le Stade latino-américain5 n'était pas comblé. Et le jour du dernier match entre Industriales6 et Santiago de Cuba, malgré nos difficultés de transports publics, le stade était peut-être encore plus plein que pour le match contre les Orioles.

On ne pouvait interrompre le championnat, mais comme ce match avait été décidé, il a fallu varier les conceptions. Que faire ?

D'abord, il fallait utiliser la batte en bois. Et il y avait vingt ans qu'on utilisait uniquement la batte en aluminium à Cuba, et beaucoup de tactiques et de stratégies sont déterminées par l'une ou l'autre. Ici, par exemple, on a perdu l'habitude d'effleurer la balle. Je le dis d'ailleurs à nos joueurs : vous ne savez pas encore effleurer la balle. Urquiola7 me contredit et me dit que oui, ils savent, et moi je dis qu'ils doivent faire beaucoup d'entraînement pour effleurer la balle. Il faut savoir le faire, bien que les grandes frappes le plus loin possible et échappant aux défenseurs soient bien meilleures, comme vous l'avez prouvé hier soir. Mais il faut savoir effleurer la balle, car il y a des moments où c'est indispensable.

L'aluminium a fait disparaître ce toucher-là et bien d'autres. Et comme les grands patrons de ce sport ont réimplanté la batte en bois chez les amateurs, il nous faut donc nous y réadapter.

Combien de temps ont eu nos joueurs pour le faire ? Nous étions juste en fin de championnat. Il a donc fallu réunir les meilleurs joueurs des huit équipes qui avaient déjà été éliminées et se mettre à constituer une équipe avec les quelques battes en bois dont disposait le pays, tout en se hâtant d'en acheter d'autres. Ensuite, quand quatre des huit équipes encore en jeu ont été éliminées à leur tour, on a pu sélectionner de nouveaux joueurs pour l'entraînement, et après, sélectionner ceux des deux équipes nouvellement éliminées qui ne participeraient pas donc à la finale. On a donc constitué peu à peu une sélection avec les joueurs des équipes éliminées, mais sans interrompre le championnat.

Je dois dire que ç'a été une grande satisfaction pour tous les amateurs que le championnat n'ait pas été interrompu malgré l'importance du match contre les Orioles et qu'il se soit poursuivi jusqu'à la fin comme prévu. Quand il a pris fin - les matchs de la finale se sont joués avec des battes en bois - on a pu sélectionner des joueurs de deux équipes finalistes qui n'avaient pu participer au match aller contre les Orioles. De combien de temps avons-nous disposé avec l'équipe finalement au complet ? De trois semaines d'entraînement pour s'adapter à la batte en bois. De trois semaine seulement ! Mais le match aller en tout cas avait déjà eu lieu avec les premiers sélectionnés, un grand match dont a parlé la presse mondiale, dont a beaucoup parlé la presse nord-américaine, et aucun journal n'a manqué d'exprimer son admiration pour la force de notre équipe.

Et, en effet, quand on a pu réunir l'équipe au complet - et non par petits groupes, comme pour le match aller - et que celle-ci a pu s'entraîner pendant trois semaines, les choses ont changé, comme l'a prouvé le résultat d'hier soir. En tout cas, on n'a jamais fait un entraînement aussi rigoureux et aussi bon en si peu de temps !

C'est là qu'on a pu apprécier ce que sont les techniciens de niveau universitaire diplômés de cette école dont j'ai parlé, leurs connaissances, leur expérience. Je peux vous assurer qu'ils représentent une richesse extraordinaire. Et que nous pouvons constituer non une équipe, mais deux, ou trois, ou quatre, qui pourraient jouer contre des équipes des Grandes Ligues.

Peut-être la paix régnera-t-elle un jour avec notre voisin du Nord, peut-être aurons-nous un jour des relations normales, et sera-t-il alors possible que nous participions à ces championnats-là, ce qui nous permettrait d'améliorer considérablement les revenus, très modestes aujourd'hui, de nos joueurs.

En fait, les sports n'attirent pas tous autant de spectateurs et ne fournissent pas autant de revenus économiques. Il en est de même dans l'art : les manifestations de l'art et les produits du travail intellectuel ne produisent pas tous de gros revenus. Ainsi, il existe de nombreux écrivains dans notre pays, et de très bons, mais qu'il est difficile qu'un bon écrivain dans notre pays puisse obtenir des revenus relativement élevés ! Certains, oui, mais c'est bien plus difficile.

Un bon peintre peut obtenir des revenus importants, mais sa renommée vient en général plus tard, au bout de bien du temps.

Les musiciens ont plus de possibilités immédiates que les écrivains, grâce à l'immense pouvoir des médias qui ont fait de la musique une grande industrie. Certains compositeurs et musiciens de haut niveau peuvent obtenir des revenus élevés, et même très élevés, et en très peu de temps. Certains sont dans ce cas dans notre pays, et les impôts qu'ils payent sont une contribution pour le pays.

Si seulement nous pouvions un jour, par une voie quelconque, offrir aux athlètes les plus émérites des revenus plus élevés que ceux que pouvons leur offrir aujourd'hui ! Je suis sûr que ce jour-là viendra d'une façon ou d'une autre, compte tenu tout simplement de la grande qualité de notre sport. Si on laissait vivre en paix notre pays, il y aurait différentes manières de stimuler le talent, le dévouement et les exploits dont nos sportifs sont capables.

En volley-ball, par exemple, nos joueurs jouent une partie de l'année dans des équipes étrangères, ce qui leur permet d'améliorer leurs revenus personnels, mais ils restent des sportifs cubains. Quand les compétitions se déroulent chez nous, ils y participent. Le championnat national de volley-ball dure très peu. En revanche, notre championnat de base-ball, par tradition et du fait de sa qualité, et parce que c'est le sport préféré de la population, dure des mois et des mois. Le public souhaite voir jouer les équipes locales et nationales. Mais si l'on ajoute à ça l'hostilité constante et l'absence de normes internationales, on comprend qu'il est difficile de trouver des solutions pratiques.

Nous avons analysé tout ceci et nous pensons que nous pourrons un jour améliorer les revenus de nos sportifs grâce aux ressources du pays lui-même, parce qu'ils méritent, du fait de leurs qualités, de leurs vertus, de leur dévouement, de leur discipline, de toucher un revenu supérieur. Tout devient plus difficile au milieu du blocus, et tant que les chercheurs sans scrupules de cerveaux et de sportifs font l'impossible pour tenter, pour corrompre et pour acheter nos athlètes.

Je vous explique tout ceci pour que vous compreniez pourquoi nous considérons le match d'hier, sous bien des aspects, comme un match historique.

Combien de Nord-Américains ne seront-ils pas encore revenus de leur étonnement devant la performance de notre équipe dans un stade des Etats-Unis même et devant presque 50 000 spectateurs. Il faudra lire pendant des jours bien des dépêches et des commentaires. Et dans quelles conditions ! Trois semaines d'entraînement à la batte en bois. Voilà pourquoi il a fallu redoubler d'imagination. Comment se sortir de cette situation en si peu de temps. Et puis, une fois arrivés là-bas, une journée pluvieuse et froide, alors que la météo des Etats-Unis avait annoncé une soirée sans pluie. Et juste quand le match commence, il a commencé à pleuvoir. Et avec une température de seulement 12º. À la télévision, on voyait les Cubains trembler de froid.

Notre excellent lanceur doit donc ouvrir le jeu dans ces conditions-là de froid et de pluie. Et voilà que le match doit être interrompu pendant une heure. Et nous savons très bien, pour l'avoir appris des techniciens, quelle sont les règles aujourd'hui, combien de temps le bras d'un lanceur doit se reposer, combien de balles il doit lancer au maximum, et que faire après qu'un lanceur a lancé pendant trois ou quatre manches, et comment utiliser la glace, les massages, le repos... alors, imaginez un peu la situation d'un lanceur étoile qui doit s'interrompre pendant une heure puis recommencer à lancer, dans la pluie et le froid, face à un équipe qui est vraiment formidable à la batte.

Et notre lanceur se retrouve donc en difficulté. Je suis convaincu que tous ceux de là-bas se sont dits, en voyant notre brillant lanceur d'ouverture, qui s'était couvert de gloire au match aller ici, dans la capitale, affronter des problèmes, que les Cubains étaient liquidés. Mais ils ne savaient pas qu'avant qu'ils pensent à ça, ici on avait prévu toutes les possibilités.

Je me souviens d'avoir demandé à une réunion d'entraîneurs, de techniciens, de managers : et que feriez-vous si Contreras a des problèmes à la seconde manche, s'il perd la maîtrise de ses lancers et si l'équipe adversaire frappe quelques bonnes balles ? Je leur ai posé beaucoup de questions. Je ne suis pas professeur de ce sport ni d'aucun autre, mais je connais du moins l'art de poser des questions et de m'occuper des détails. Quand ils me répondaient : nous ferions ceci ou cela, je leur demandais : pourquoi ? Ils me disaient : pour ceci ou pour cela, parce que nous avons bien d'autres vedettes dans l'équipe, et ils m'énuméraient les caractéristiques de chacune d'elles.

Certains commentateurs se demandaient si Contreras devait ouvrir le jeu ou non, car les Nord-Américains le connaissaient déjà. Nous l'avons vu aux entraînements, et je peux vous assurer qu'il était capable, à un moment donné, de maîtriser toute cette série de bons batteurs à nous qui le connaissent bien. Vous n'avez pas la moindre idée de la quantité de bons lanceurs que nous avons, de leur qualité, et certains nouveaux sélectionnés sont capables de lancer sans problèmes une balle à 155 km/h et ne descendent jamais à moins de 144 km/h, à moins que ce ne soit à dessein pour tromper le batteur d'en face. En tout cas, les techniciens de notre équipe avaient tout prévu et savaient que faire dans chaque cas, et tout s'est passé exactement comme prévu. Dès la première manche, nos adversaires avaient déjà fait deux courses. On savait que c'étaient d'excellents batteurs, parce qu'on les avait vus à l'oeuvre ici.

Ce qui m'a le plus impressionné, c'est l'esprit de lion, de tigre, avec lequel les nôtres ont réagi. On aurait dit qu'ils bondissaient vers la victoire. Les autres nous avaient fait deux courses ? Qu'à cela ne tienne : nos tigres ont bondi et en ont fait quatre pendant cette même seconde manche ! Une réaction, un esprit vraiment impressionnants ! (Applaudissements.) Et comme ça d'un bout à l'autre du match.

Je regrette seulement que nos techniciens, compte tenu de ce froid et de cette pluie terribles, n'aient pas fait ce qu'ils ont fait ici à La Havane avec Contreras, alors qu'ils disposaient d'une bonne réserve de lanceurs. Les Orioles n'avaient encore réussi que trois jets au début de la neuvième et dernière manche. Mais il était évident que notre second lanceur était épuisé par le terrible effort qu'il avait fait et par la quantité de balles qu'il avait lancées. Et ce lanceur est Vera, comme vous le savez, qui a porté ici le drapeau cubain que notre équipe avait emporté là-bas, et qui a bien mérité cet honneur, tout comme l'ont gagné ceux qui l'ont escorté, et d'autres encore, comme Linares, qui a pris la parole ici et qui, chaque fois qu'il s'est retrouvé en position de batteur, n'a jamais été éliminé (applaudissements).

Je disais donc que j'aurais préféré qu'on fasse avec Vera ce qu'on avait fait au match aller avec Contreras. Celui-ci avait été si brillant qu'il était douloureux de le voir, après plus de cent lancers, en train de perdre sa maîtrise et de faire des lancers qui n'allaient plus exactement là où ils devaient aller, comme il l'a reconnu lui-même ensuite. Et sa substitution a été très opportune. Après, certains ont critiqué le manager de l'avoir fait. Il aurait été très triste que le brillant rôle qu'il avait joué jusque-là ait été gâché et que les adversaires aient profité de cette circonstance.

Beaucoup pensent qu'il faut laisser terminer un lanceur qui a commencé. Pour ma part, avec l'avantage que possédait notre équipe, qui gagnait alors par 12 à 3, et compte tenu de la grande réserve de bons lanceurs dont nous disposons, j'aurais préféré que Vera ne lance pas la dernière manche, et j'avais raison, puisque les Orioles lui ont marqué deux jets de suite au début de celle-ci. Vera n'avait toléré ni un seul jet ni une seule course aux Orioles depuis le début de la seconde manche jusqu'au premier tiers de la neuvième. Ni jet ni course, et cela doit passer aux annales de notre base-ball ! Mais comme je savais que nous disposions de beaucoup de lanceurs de réserve, ça m'a fait mal qu'on n'ait pas tenté de préserver cette magnifique performance de Vera en le remplaçant à la neuvième manche.

Qu'Urquiola, les techniciens et les dirigeants ne prennent pas ça comme une critique. Je donne mon opinion. Le jour de la gratitude et des honneurs que vous méritez n'est pas celui de la critique, vous comprenez ?

Certains ne comprenaient pas bien la composition de l'équipe. Certains disaient : comment se fait-il qu'on ait sélectionné quatre défenseurs de troisième base8 et un short-stop9 ? Oui, il y avait quatre défenseurs de troisième base, mais l'un était le batteur désigné10 et c'est lui qui a battu un fantastique home-run11 de près de 120 mètres (applaudissements) et qui a rempli brillamment le rôle qui lui avait été confié comme batteur (applaudissements). Parmi ces batteurs de troisième base, il y avait un fantastique batteur d'urgence12 de réserve qui s'appelle Pierre (applaudissements). Parmi ces batteurs de troisième base, il y avait Michel Enrique qui pouvait jouer comme short-stop s'il le fallait, et un autre, et même Linares qui l'a fait parfois quand le titulaire se blesse et qui a fait preuve à l'entraînement de ses conditions de batteur constant, sûr et redoutable.

L'idée fondamentale pour ce match était une équipe forte à la défensive, mais surtout très forte à l'offensive. Ce match, il fallait le gagner en battant avec une grande force, en sachant effleurer la balle mais aussi en frappant de jets, des two-base, des three-base13 et des home-run, selon les possibilités, et notre équipe était une vrai machine à en fabriquer.

On a aussi tenu compte de la vitesse des coureurs. On a sélectionné un joueur dont la caractéristique fondamentale était la vitesse pour décider du jeu ne serait-ce que par une course autour du diamant. Mais il y avait aussi des facteurs défavorables : pas seulement le froid, pas seulement la pluie, pas seulement la batte en bois, mais aussi le fait que si le terrain se faisait lourd, notre équipe perdait un de ses avantages qui est la vitesse. Les responsables de la sélection de l'équipe ont analysé tous ces facteurs rigoureusement et minutieusement. Mais il fallait attendre les résultats, pour connaître les fruits que pouvaient donner de nouvelles conceptions et de nouvelles méthodes d'entraînement, sans parler du fait que les joueur ont dû lutter jusqu'au bout pour pouvoir être sélectionnés. Tout ceci n'a pas été facile.

On n'a su la composition de l'équipe que le samedi à midi. Quarante-huit joueurs avaient rejoint l'entraînement et les sélectionneurs ont eu du mal à faire leur choix qui s'est fondé sur des normes, des critères, des principes.

On savait que cette équipe était capable de frapper autant de jets qu'il le fallait et qu'elle saurait se grandir au moment opportun, et voilà pourquoi elle a remporté cette victoire qu'on peut qualifier de spectaculaire. Et cette équipe, croyez-le, commence à peine. Attendez voir Winnipeg, attendez voir les Jeux olympiques ! Les autres auront beau réunir autant de superpros qu'ils veulent, vous pouvez avoir une confiance totale, aveugle, en notre équipe.

Le principe numéro un était la discipline, la passion, le dévouement total. (On lui dit du public : Et l'attitude de l'arbitre ?) Laissez ça pour plus tard, vous voulez bien ? Il y a maintenant des thèmes plus intéressants à aborder. Nos perspectives, par exemple.

On a pensé à un moment donné qu'il serait bien que le public puisse suivre les entraînements. Mais on s'est rendu compte ensuite que public et entraînement ne font parfois pas bon ménage. On avait aussi envie que le pays puisse voir à la télévision l'entraînement des joueurs, le problème c'est que les adversaires aussi allaient le voir, qu'ils allaient connaître tous nos lanceurs et chacun de nos batteurs. Alors on a décidé de recourir à la plus grande discrétion.

Les journalistes, eux aussi, voulaient savoir, ils se rendaient aux entraînements, ils observaient. Et ils ont compris la stratégie. Mais il n'a pas été possible d'organiser des matchs avec du public, ce qui aurait été très intéressant.

A la veille de matchs importants, il faut donner la priorité à l'entraînement sur le spectacle. Il se peut - mais sans faire la moindre promesse - que le public puisse parfois assister à des entraînements dans les deux prochains mois, voire que la télévision les retransmette. Mais l'essentiel, le point clef, c'est utiliser l'art et la technique de confondre l'adversaire.

Une série d'idées ont vu le jour du fait qu'il a fallu entraîner l'équipe pour un match qui se jouerait dans des conditions défavorables. Là-bas, en effet, c'est un autre pays, c'est un autre public, des dizaines de milliers de spectateurs qui allaient soutenir leur équipe, des provocateurs bien connus, le froid, la pluie, la batte en bois qu'on n'utilisait plus dans notre pays depuis vingt ans. Nos joueurs ont-ils ou non du mérite d'avoir passé cette épreuve ?

Je disais : le match aller, ce n'est pas celui-là l'important. Ici, il fallait faire preuve du maximum de courtoisie envers les visiteurs. Et, de fait, l'éducation de notre peuple, ses connaissances en sport, son respect, ont vraiment suscité l'admiration de bon nombre de Nord-Américains et de journalistes qui ont assisté à ce match aller. Notre peuple n'est pas le peuple de sauvages que certains s'imaginent, trompés par les mensonges yankees. Notre peuple est sans doute un des plus éduqués, des plus cultivés, des plus instruits au monde, un peuple ingénieux, intelligent, digne, respectueux.

J'étais absolument convaincu qu'aucun spectateur d'ici n'insulterait jamais un seul joueur étranger, car ça n'est jamais arrivé. Le respect le plus rigoureux, total, des visiteurs, la capacité d'applaudir leur jeu, d'écouter leur hymne avec respect, de saluer leur drapeau respectueusement, c'est là le propre de gens civilisés et cultivés, et ce n'est pas seulement de sport que notre peuple a appris.

Des recherches récentes ont prouvé que les écoliers de neuvième, de huitième et de septième de notre pays possèdent des connaissances incomparablement supérieures à celles des autres pays latino-américains. Cuba occupe la toute première place en ce qui concerne la qualité de son éducation. Elle l'occupe d'ailleurs dans bien d'autre domaines : en sport, le plus grand nombre de médailles olympiques par habitant; en santé, les taux de mortalité infantile les plus bas du continent, les Etats-Unis y compris, exception faite, peut-être, du Canada. Et ce n'est pas tout : notre pays a de la conscience, de la culture générale et politique, de la dignité et du respect à revendre.

Voilà pourquoi jamais personne n'a offensé dans notre pays un Nord-Américain. Cette Révolution-ci s'est faite et s'est développée non sur une base de fanatismes ou de dogmes, encore moins de haines et de préjugés, mais à partir d'idées, de conscience, de culture. Elle a enseigné à penser. L'esprit révolutionnaire, nous le portons dans notre âme, et le révolutionnaire, ce n'est pas celui qui insulte, mais celui qui sait qu'il possède la vérité et qui est capable de la soutenir et de la défendre. Et ça, c'est notre peuple ! Aucun pays au monde ne pourra donner l'exemple d'hospitalité et de respect des visiteurs que peut donner Cuba.

Nous n'avons jamais inculqué la haine du peuple nord-américain ou du citoyen nord-américain. Nous avons toujours fait retomber la responsabilité en premier lieu sur le système. Il est bien difficile, en effet, qu'un système pareil puisse produire de bons dirigeants, exception faite de quelques brillants hommes d'Etat comme Roosevelt à un moment de profonde crise du capitalisme, de montée du fascisme en Europe et de graves risques d'une déflagration mondiale. Certains sont un peu plus scrupuleux, d'autres le sont moins; quelques-un sont plus moraux, d'autres le sont moins; certains sont plus intelligents que d'autres; certains sont plus conscients de l'histoire ou ont davantage de sens de leurs responsabilités, d'autres en ont moins ou pas du tout. En tout cas, c'est le système en place dans ce pays-là, sa puissance, sa richesse, ses fondements économiques et sociaux qui engendrent l'égoïsme, l'arrogance, l'orgueil, et qui installent au pouvoir des gouvernements dont la pensée presque exclusive est de soutenir et d'étendre un grand empire. Mais nous n'avons jamais accusé le peuple nord-américain d'être responsable de son système ni de ses gouvernements. D'ailleurs, bien souvent, ceux-ci ne peuvent rien faire, alors qu'ils ont pourtant le pouvoir de faire bien d'autres choses. C'est un fait.

Ce match aller du 28 mars à La Havane a permis à bien des gens de ce pays-là d'avoir une vision directe de Cuba. Ce soir-là-même, parce qu'ils repartaient le lendemain, nous avons organisé deux réceptions : tous ceux qui étaient venus accompagner l'équipe des Orioles, des centaines de personnes, à 19 h 30, puis, à une heure du matin, un grand nombre de musiciens nord-américains venus jouer avec des musiciens cubains. Eh bien, vous ne pouvez savoir la quantité d'éloges que j'ai entendues sur Cuba ce soir-là ! Ceux qui avaient à voir avec le sport ne tarissaient pas d'éloges envers nos joueurs, envers notre public, envers notre peuple. Et ils ne disaient pas des mensonges juste pour nous flatter, comme cela arrive souvent. Non, on voyait bien, à la façon chaleureuse dont ils s'exprimaient, qu'ils avaient reçu une impression agréable, voire surprenante pour la plupart, de ce qu'était vraiment notre peuple.

À la réception des musiciens, il s'est passé la même chose. J'ai dû serrer la main de je ne sais combien de musiciens ce soir-là, et chacun restait devant moi au moins une minute à me parler des musiciens cubains, qui assistaient aussi à la réception, bien entendu. C'était vraiment impressionnant ! Les uns admiraient le sport, et les autres, la culture de notre pays, l'art de notre pays, l'essor de la musique dans notre pays, car ce n'est pas pour rien qu'il y existe un Institut supérieur des arts et de nombreuses écoles de ce genre.

Notre pays a progressé extraordinairement dans bien des domaines, et le plus méritoire, c'est que rien de tout ceci ne s'est effondré même au cours de ces années-ci si difficiles. Jusqu'au fameux théâtre détruit par un incendie qui a été reconstruit et inauguré tout récemment. Et on est en train de restaurer le musée des Beaux-Arts et d'en créer un second, de sorte que nous aurons deux excellents musées. Notre pays compte une grande quantité d'oeuvres d'art qui seront mises au service du peuple, pour que celui-ci soit toujours plus connaisseur et cultivé en la matière.

Oui, dans bien des domaines. Pas une seule école n'a été fermée ces années-ci, et des milliers de nouveaux instituteurs entrent dans l'enseignement primaire dotés d'une licence universitaire. Pas une seule polyclinique n'a été fermée, et environ 30 000 nouveaux médecins ont rejoint ces années-ci de période spéciale notre système de santé. Quel autre pays aurait pu faire pareil au milieu du blocus et après la disparition de l'URSS et du camp socialiste ? Ce sont là de grands mérites de notre peuple. Et je crois qu'il faut le souligner en un jour pareil, car c'est l'oeuvre de tous.

Et il faut être juste. Nous avons remporté une victoire, une grande victoire sur les Orioles. Certaines agences de presse la qualifient d'écrasante. Je ne veux pas la qualifier ainsi : je dis qu'il s'est agi d'une victoire historique, d'une bonne victoire, mais je n'utiliserais jamais ce terme d'écrasant. Nous ne voulons écraser personne, à plus forte raison une équipe grâce à laquelle une rencontre de ce genre a pu se réaliser entre deux conceptions du sport, entre une grande équipe des Grandes Ligues et une équipe de la petite Cuba (applaudissements), amateur. Et cela a été possible grâce à l'effort des dirigeants de cette équipe des Orioles, de son actionnaire principal et de son principal directeur, qui s'est battu pendant des années pour qu'on accepte enfin le principe de cette rencontre.

Il a fallu beaucoup discuter. N'allez pas croire que ç'a été facile, parce que certains étaient contre. Je ne parle pas dans ce cas des provocateurs traditionnels, mais d'importants hommes politiques qui s'y opposaient, tandis que d'autres étaient d'accord. Dans les conditions actuelles, il n'est pas facile d'organiser ce genre de match. Les recettes ont été une autre pierre d'achoppement : à quoi allait-on les destiner et comment ? Il ne s'agissait pas de leur montant, mais des réglementations du blocus qui entravaient bien des choses, en plus de certaines exigences capricieuses - et pas précisément de la part des Orioles, non - de ceux qui voulaient créer des obstacles en imposant des conditions inacceptables.

Les dirigeants des Orioles et ceux d'autres équipes des Grandes Ligues étaient d'accord avec le match, mais il a fallu pas mal discuter, et ce n'est que vers le 10 mars, deux semaines et demie avant le match aller, que les deux parties sont enfin tombées d'accord sur l'essentiel, même s'il restait encore quelques détails à régler. Une fois vaincues toutes les difficultés, le match a finalement eu lieu. Mais le second a été difficile pour différents détails et d'importants obstacles à vaincre.

L'un des premiers obstacles réels est que nous étions convenus avec les Orioles, et les autorités nord-américaines l'avaient accepté, que chaque équipe voyagerait dans l'autre pays à bord des lignes aériennes nationales, et que, par conséquent, notre équipe cubaine volerait sur des avions cubains.

Or, voilà que surgit un problème dont les autres ne s'étaient pas rendus compte apparemment - c'est qu'il existe là-bas tant de lois, d'amendements et encore d'amendements dans le cadre du blocus que cela a fini par créer des situations vraiment absurdes - à savoir le risque que nos deux avions cubains emportant nos joueurs et le reste de la délégation fassent l'objet d'une réclamation de la part de n'importe lequel des bandits, des fameux individus qui étaient des citoyens cubains propriétaires de sucreries, de latifundios, d'usines et de différents biens et qui avaient gagné les Etats-Unis tout au début de la Révolution quand ils pensaient que celle-ci n'allait durer que quelques mois. Et cette éventuelle réclamation pouvait se faire aux termes de la très fameuse loi Helms-Burton qui attribue à ces individus le caractère de Nord-Américains lésés, et aussi en vertu d'autres réglementations, et d'un amendement voté tout récemment au Congrès de manière quasi clandestine. Parce que, malheureusement, nombre de ces lois, comme celle du budget - et Alarcón le sait - comptent parfois de quatre à cinq mille pages, et personne ne les lit, si bien que vous pouvez y ajouter des amendements contre Cuba et que personne n'y prend garde, parce que des amendements, ce Congrès en vote à tout bout de champ. Le résultat, c'est que ça a fini par créer un tel micmac que nous en voyons aujourd'hui les conséquences.

Tenez, tout récemment, Cuba a dû couper les relations téléphoniques. Pourquoi ? Eh bien, tout simplement, parce qu'un juge a fait cas des réclamations d'un groupe d'avocats et de parents des trois personnes décédées lors du fameux incident des avionnettes. Un incident qui était une provocation. Et qui s'est déroulé non au-dessus de Washington, ni près des côtes de la Floride ou de Key West, mais à quelques milles de nos côtes, après que ces gens-là n'ont cessé de violer notre espace aérien, voire de survoler notre territoire, ce qu'aucun pays n'admet ni peut admettre et à la suite de quoi nous avions averti je ne sais combien de fois que cela risquait de donner lieu à un incident, comme cela a fini par arriver. Les demandeurs réclament des indemnisations de presque 200 millions de dollars, plus de 60 pour chacun.

Mais ce n'est pas le seul cas, n'allez pas croire. N'importe lequel de ces individus qui avaient abandonné ici des biens qui sont passés ensuite aux mains de la Révolution a le droit d'aller voir un juge et d'établir une demande pour geler, saisir ou confisquer n'importe quel bien cubain. Et c'est en vertu de cette procédure qu'ils ont présenté une demande pour saisir les fonds que les sociétés nord-américaines concernées doivent nous verser pour les services téléphoniques entre les deux pays, comme cela se fait normalement dans ce cas. Ainsi donc, après ça, Cuba devait fournir des services téléphoniques gratuits aux Etats-Unis, sous prétexte qu'un juge bandit, complice bien connu des provocations contre Cuba, profitant de l'impuissance de son gouvernement, mais aussi de toutes ces lois et de tous ces amendements complètement fous adoptés là-bas, avait décidé de présenter une réclamation visant à confisquer les fonds qui nous reviennent. Et ces fonds sont pour l'instant gelés, dans l'attente des démarches légales, et les mois passent sans qu'on sache ce qu'il adviendra de tout ça.

Les sommes qu'on devait nous verser pour le mois de décembre ont été gelées, et nous avons alors lancé un avertissement : vous ne pouvez geler ces fonds, vous devez nous payer, sinon nous prendrons des mesures. Et, de fait, nous n'avons pas eu d'autres solutions que de prendre les mesures pertinentes et d'interrompre les communications téléphoniques avec les sociétés nord-américaines qui s'occupaient de ce service, un service qui existait en vertu d'accords approuvés par Washington et concertés avec nous. Une seule société a échappé à cette mesure, apparemment par oubli du juge ou des avocats, on ne sait pas trop bien : elle continue de nous payer et nous maintenons les services avec elle. Mais pour le reste, les communications depuis les Etats-Unis doivent maintenant passer par l'Espagne, par l'Italie, par le Portugal, par des pays tiers, par je ne sais trop où, ce qui fait que les services se maintiennent, mais ne sont plus aussi efficaces et sont plus coûteux pour ces sociétés nord-américaines.

Cuba possède une société d'économie mixte - à participation majoritaire de l'Etat, bien entendu - qui s'occupe des installations téléphoniques du pays et qui a signé des contrats avec différentes sociétés nord-américaines. À partir du moment où le juge ordonne à celles-ci de ne plus payer, que devions-nous faire ? Continuer de prêter les services contractuels ? Non, nous les avons coupés, parce que c'était inacceptable. Peut-être y a-t-il quelque idiot dans notre pays qui pense que c'était incorrect... Ce qui aurait été stupide et incorrect, vraiment, ç'aurait été de continuer de fournir un service qui nous coûte des efforts, de l'énergie et des ressources pour qu'un juge de là-bas gèle les fonds qui nous reviennent ! Il n'en est pas question, et on verra bien comment le problème se réglera.

Mais ce n'est pas tout. On vient de voir apparaître une nouvelle politique, qui consiste à confisquer pratiquement nos brevets, nos marques les plus prestigieuses, comme le rhum Havana Club, et ce, de nouveau, en vertu d'une réclamation présentée par ceux qui ont apporté le plus d'argent en vue de l'approbation de la loi Helms-Burton, à savoir la société Bacardí. Cette société, donc, s'est emparée, parce que cela lui chantait, de la marque Havana Club, l'un des rhums les plus prestigieux au monde, ce qui lui a valu une contre-réclamation de la société française qui est le partenaire de Cuba dans la commercialisation de ce rhum. Comme vous pouvez le comprendre aisément, nous n'avons pas la moindre possibilité, nous, de présenter des demandes aux Etats-Unis, à plus forte raison de trouver un juge qui nous donne raison. Ce serait une illusion, parce que ça n'est jamais arrivé !

On est en train de juger là-bas un groupe de bons amis du gouvernement des Etats-Unis, membres de la fameuse Fondation cubano-américaine, pour l'attentat qu'il m'avait préparé sur l'île Margarita. Un garde-côtes nord-américain qui cherchait des trafiquants de drogues les a surpris par hasard. Ils sont en prison et jugés, et on va bien voir comment ce procès va se conclure, parce que ces gens-là, actuellement jugés, se faisaient prendre en photo à côté d'importantes personnalités politiques nord-américaines et du gouvernement.

Non, jamais un seul juge de ce pays-là ne nous a donné raison !

La société française a présenté une demande, mais comme la cour vient de la débouter, elle a décidé de se pourvoir.

Alors, voilà, plus de reconnaissance de marque ! C'est là une violation éhontée des lois internationales, du droit consacré. Et ces gens-là peuvent le faire avec d'autres marques. Alors, j'espère que personne ne protestera si nous commençons, nous, un beau jour, à produire du Coca-Cola - peut-être meilleur, allez savoir ! - et si nous inscrivons sur une canette : Coca-Cola cubain. Il se peut même qu'on nous l'achète, par pure curiosité. Pourquoi pas, après tout ? Tenez, un Italien associé à une société cubaine, est en train de produire du vin, et pas si mauvais que ça. Je me suis dit : il est toqué, cet Italien ! Eh bien, non ! Les vignes n'étaient même pas encore plantées qu'il avait déjà lancé sa distillerie en utilisant du moût importé et il a obtenu du vin de bonne qualité. Il a même dit qu'il allait le vendre à je ne sais combien, à cent dollars la bouteille, je crois. Et tout récemment, à une exposition, il a vendu quelques bouteilles à quatre-vingts dollars.

Certains vous disent que si Cuba produit du rhum d'une telle qualité, et si son rhum et son cigare sont si fameux, ce vin doit être bon. En fait, il n'était pas mauvais, ce vin, tant s'en faut, et il l'a vendu. Car le prestige, c'est le prestige, et la renommée d'un pays, c'est la renommée d'un pays.

Quelqu'un va peut-être dire : sapristi, je vais goûter au Coca-Cola cubain. Ou alors, nous pourrions produire des articles de parfumerie et bien d'autres choses pour les vendre sur ce qu'on appelle le marché frontalier. Alors, non, que personne ne se plaigne si nous commençons à produire et à vendre n'importe quelle marque nord-américaine. Nous n'allons pas rester les bras croisés, bien entendu ! Vous pouvez en être sûrs.

Mais il y a eu encore pire. Ce comble dont je vous ai parlé : que notre équipe ne puisse voyager à bord d'avions cubains. Et ça a mis sérieusement en danger le match. Les autorités nord-américaines elles-mêmes se sont préoccupées, parce qu'avec cette toile d'araignée de complications qu'elles ont tissées pendant des années, elles se retrouvent impuissantes et incapables d'empêcher n'importe quel pauvre type de présenter une demande contre les avions cubains.

On en est arrivé à ce comble. À ce train-là, même les bagages d'un cadre d'entreprise ou d'un fonctionnaire de l'administration publique de Cuba se rendant aux Etats-Unis ne seront plus sûrs. Un beau jour, vous verrez, le compañero Alarcón, président de l'Assemblée nationale, qui doit se rendre là-bas pour discuter de différentes questions relatives aux accords migratoires et à d'autres points, on lui confisquera son attaché-case. C'est là quelque chose d'incroyable, de ridicule, d'insolite.

Imaginez un peu que notre équipe se rende là-bas, accompagnée de vieux sportifs, de travailleurs émérites, d'étudiants, de jeunes, et qu'on nous confisque l'avion ! Quel scandale mondial, n'est-ce pas ? Ouste, tout le monde à l'hôtel. Style pupilles de la nation. Bien sûr, parce qu'ils n'auraient plus d'avion pour rentrer et qu'ils s'entêteraient peut-être à rentrer dans ce même appareil... il faudrait leur offrir un logement - mais qui paierait ? - les nourrir. À moins qu'ils ne refusent de manger ces aliments-là. Vous voyez un peu le scandale !

Je crois que le gouvernement nord-américain était sincèrement préoccupé, parce qu'il ne pouvait régler ce problème. Nous préférions nos lignes aériennes pour plusieurs raisons, parce que nous avons beaucoup de confiance dans nos pilotes, qui parlent espagnol, dans le personnel de bord, les hôtesses et les autres travailleurs de nos lignes aériennes. Oui, nous préférons les nôtres où l'on parle espagnol. Je crois que cela influe psychologiquement de voler à bord d'un avion de son pays, ça crée plus de confiance. Surtout quand il s'agit d'un pays comme le nôtre qui a vécu des expériences aussi amères que l'attentat brutal et monstrueux en plein vol contre un avion de passagers, qui a coûté la vie de notre équipe d'escrime junior qui rentrait à Cuba après avoir raflé toutes les médailles au cours de compétitions internationales. Oui, nous nous sentons plus sûrs quand l'équipage est cubain, parce que la surveillance et la sécurité de nos avions y sont mieux assurées.

Donc, problème très sérieux. Que faire ? Il était humiliant pour nous, en plus d'injuste, de devoir louer un ou deux appareils à une compagnie étrangère pour transporter notre délégation, et le voyage a été sérieusement compromis. Ceux de là-bas nous ont avertis qu'il existait ce problème, ils étaient même pratiquement sûrs que ç'a arriverait, mais qu'ils ne pouvaient absolument rien faire. Et ça, quelques jours avant la date prévue.

Il fallait prendre une décision, et nous avons pensé qu'il était important que ce match se déroule. Bien des gens avaient travaillé de bonne foi dans ce but, et seuls les ennemis les plus récalcitrants de Cuba s'y opposaient. Nous avons bien réfléchi. Même si c'était très dur pour nous de renoncer à un droit acquis, l'exercer aurait provoqué inévitablement, pour les raisons que j'ai expliquées, un sérieux conflit. Il aurait été très triste que ce qui avait été conçu comme une rencontre amicale - même s'il y en a déjà eu beaucoup avant - se transforme en un conflit, provoque un problème qui ne ravirait que ceux qui s'opposaient si furieusement à ce match. Alors, agissant avec toute la sérénité requise et en toute responsabilité, nous nous sommes résignés à l'idée de renoncer à voler sur nos propres avions et à noliser un appareil d'une ligne étrangère - en l'occurrence, canadienne - pour ce voyage. Et ce, à toute allure.

Il s'agissait d'un gros courrier, de plus de 300 places, au lieu de deux plus petits avions, comme nous aurions souhaité. Moi, en tout cas, je l'aurais préféré. Je tremble à l'idée des passagers qu'emportait cet avion : en plus de l'équipe, plus de cent anciens sportifs de haut niveau, des travailleurs émérites, des jeunes et des étudiants brillants. Vrai, quand j'ai vu cet avion décoller, j'aurais préféré deux petits.

Bien, problème réglé. Mais vous voyez un peu la situation. Il est inadmissible, cet ensemble de mesures prises contre notre pays. Qui n'est pas désarmé, n'allez pas croire, qui sait se défendre. En tout cas, tout ceci crée des précédents qui risquent de se retourner contre eux un jour ou l'autre. Nous aussi, nous avons des avocats capables, notre moral est au beau fixe, nous disposons de bien des ressources morales et légales pour contrecarrer cette offensive féroce contre les intérêts de notre pays.

Je dois dire, en toute sincérité, que le gouvernement - encore qu'on ne sache trop combien de gouvernements il y a là-bas, combien d'intérêts et de politiques en contradiction - a agi de bonne foi dans cette affaire. Les vues aux Etats-Unis n'étaient pas unanimes, mais, que je sache, il s'est intéressé à la recherche d'une solution. Et, pour notre part, nous avons coopéré.

Tout à la fin, il y a aussi eu des problèmes avec les visas. Pour un peu, ça devenait un autre obstacle qui aurait été insurmontable. Plus d'un tiers de la délégation n'avait toujours pas de visas, et nous ne pouvions l'admettre, parce qu'il n'y avait aucun argument valable, aucune raison, rien qui puisse le justifier. Et nous étions déterminés à ce que la délégation ne parte pas si tous les visas demandés n'étaient pas délivrés. On nous disait entre autres qu'il s'agissait d'un problème de délai, que nous avions demandé les derniers visas à peine soixante-douze heures avant le début du match.Quelle blague ! Ici, lors du match aller, nous avons autorisé l'atterrissage d'avions qui en avaient demandé l'autorisation à la dernière minute et nous avons délivré des visas demandés à peine six heures avant. Non, le prétexte du délai était inadmissible.

Notre délégation allait être désintégrée avant même de partir pour Baltimore, alors que tout le monde avait été averti, que tout avait été organisé - vêtements et le reste - pour un voyage de très courte durée, et que les dizaines et les dizaines d'anciens sportifs, de jeunes, d'étudiants et de travailleurs étaient tout heureux et enthousiastes de cette possibilité d'assister au match.

Nous nous sommes dit : Quoi encore ? Est-ce que ce sont des gens qui ont commis de crimes, des délits, des fautes ? Y en a-t-il un seul auquel on peut imputer une action immorale ou illégale qui justifie la non-délivrance d'un visa ? Finalement, parce qu'il a fallu se battre d'arrache-pied, on nous a dit que les fonctionnaires contestaient certains membres de la délégation. Nous avons demandé : Lesquels, par exemple ? On nous dit : Ordaz. Ordaz ne peut pas voyager ? Et qu'est-ce qu'il a donc fait, Ordaz !

Je connais trop bien Ordaz, parce que je l'ai vu construire des hôpitaux dans la Sierra Maestra en pleine guerre, fabriquant de ses propres mains des hôpitaux de feuilles de palmier et de bois qui ont sauvé bien des vies. Ensuite, à la victoire de la Révolution, il a travaillé quarante ans dans cet hôpital qui était sous le capitalisme un horrible hangar à malades mentaux, où ceux-ci mouraient en masse, et qui est aujourd'hui un des établissements de soins mentaux les plus prestigieux du monde - oui, je le répète, un des établissements les plus prestigieux et reconnus au monde - admiré par de nombreuses personnes. Et celui qui l'a dirigé pendant quatre décennies est l'une des personnes les plus humaines, les plus respectées et les plus chéries par notre population. Il a rendu la santé à de très nombreuses personnes. Une conduite exemplaire, un dévouement total et absolue à son noble travail, voilà ce qui l'a caractérisé. Qu'a fait Ordaz pour mériter une telle exclusion ? Serait-ce parce qu'une canaille, la fille d'un tortionnaire batistien qui a assassiné des dizaines de jeunes avant de se réfugier aux Etats-Unis, a été assez infâme pour dire que cet hôpital était un centre de tortures ? De telles calomnies produisent de l'écoeurement et de la répugnance, et il est encore plus répugnant que certains y croient ou se plient ou se laissent intimider devant de telles affirmations, tout en sachant qu'elles sont tout à fait fausses. Cette exclusion était si scandaleuse qu'on ne pouvait l 'accepter.

Nous avions le devoir moral d'exclure nous-mêmes, et sur-le-champ, toute personne sur laquelle on pouvait faire peser l'accusation d'être un criminel, un trafiquant de drogues, un vicieux, un immoral, mais il était impossible se résigner à ce qu'un compañero comme celui qui a dirigé cet hôpital pendant quarante ans ne puisse pas voyager. Je me demandais : Est-ce parce que le peuple l'a élu député de l'Assemblée nationale ? Oui, mais Fernández l'est aussi. Et Linares et Pacheco, des joueurs de l'équipe, aussi. Non, ce n'était pas possible.

Les premières difficultés sont survenues avec Alarcón : s'il vous plaît, il vaut mieux que vous retiriez votre demande de visa ! Fernández les inquiétait, mais lui encore plus à cause de son poste. Bon, parfait. D'accord pour Alarcón, avons-nous dit. Il est à Londres à ce moment et, quand il reviendra, nous en discuterons avec lui. Il n'y allait pas pour son compte, plusieurs dirigeants des Grandes Ligues l'avaient invité. Nous le persuaderons qu'il vaut mieux décliner l'invitation. Affaire réglée. Mais il restait celui de Fernández, président du Comité olympique. Après, est apparu le problèmes des avions, qui était bien plus épineux que celui de Fernández. Nous avons fait le geste nécessaire pour régler la question des avions, mais le pire a été celui qui s'est présenté à la dernière minute avec les visas de la délégation. Il était évident que quelqu'un qui avait envie de mettre des bâtons dans les roues faisait des siennes.

J'ai eu une réunion vraiment émouvante avec tous les membres de la délégation. Les joueurs avaient déjà été sélectionnés. C'était samedi, le 1er Mai, juste après ce défilé si grandiose, expression de l'esprit de notre peuple et de nos travailleurs, de l'esprit de lutte croissant de notre peuple. Une fois le défilé fini, la question délicate des visas a occupé presque tout notre temps. Elle est apparue vers trois heures et demie de l'après-midi. La délégation devait partir le lendemain matin. Nous avions convoqué une réunion avec elle, dès avant, à six heures de l'après-midi. Alors, j'ai décidé de présenter le problème aux joueurs et à tous les membres de la délégation. Je leur ai dit : je viens faire mes adieux à une délégation dont je ne sais toujours pas si elle va partir ou non. Il y a des problèmes. Et je leur ai bien expliqué ce qui se passait avec les visas. Je leur ai dit : ou tout le monde va, ou personne (applaudissements). C'est justement ça qu'ils ont fait : ils ont applaudi comme vous, tout le monde, joueurs et délégation. Nous en étions donc arrivés au point de ne pas savoir quand la délégation partirait, en conservant l'espoir qu'elle pourrait le faire, parce que notre position était si raisonnable que nous espérions une solution.

Pendant cette réunion du samedi après-midi qui a duré de six heures à neuf heures, il n'y avait toujours pas de solution. Alors, nous avons tracé un plan : si nous n'avons pas de réponse à minuit, nous suspendions le départ qui était prévu le dimanche matin à dix heures. Si le dimanche à midi, il n'y a toujours pas de réponse, nous suspendrions le départ de l'après-midi et nous attendrions jusqu'à lundi, dix heures du matin. J'ai demandé aux joueurs, notamment aux lanceurs : à supposer que vous partiez à une heure de l'après-midi, le jour même du match, que vous vous installiez à l'hôtel puis que vous partiez directement pour le stade pour reconnaître le terrain et vous préparer pour le match, croyez-vous que vous pourriez maintenir la même efficacité, la même maîtrise ? Cela ne vous porterait-il pas préjudice ? Ils m'ont tous dit : Nous pouvons le faire. Même si nous commençons ce long voyage à une heure de l'après-midi, nous sommes prêts à aller directement au stade et à jouer.

Nous nous étions donc réservé la possibilité d'attendre jusqu'à lundi matin, dix heures, en ne disposant plus que de trois heures pour se rendre à l'aéroport, réaliser un minimum de démarches et prendre l'avion. Et il était même possible que notre équipe, en plus de tous les problèmes dont j'ai parlé, doive se rendre directement de l'aéroport au stade, une fois arrivée là-bas. Nous étions prêts, en cas de réponse raisonnable, à ne pas manquer au rendez-vous et nous espérions que les autres réfléchiraient à la question. Nous pouvions attendre encore un peu.

La seule conséquence en fait, c'est qu'au lieu de partir le matin, nous sommes partis le dimanche après-midi, à cinq heures. Je dis : "Nous sommes partis", parce que je suis parti en esprit avec eux, n'est-ce pas ?

(Un membre de la délégation dit : "C'est bien ce que nous aurions voulu.")

Je faisais plus pour vous d'ici.

Les joueurs ont donc fait un peu d'entraînement ici, le dimanche matin, ils sont rentrés au village olympique, ils ont déjeuné, ils se sont reposés un peu, ils sont partis pour l'aéroport, ils ont pris l'avion à cinq heures, ils sont arrivés à l'hôtel de Baltimore à l'heure prévue, à neuf heures, ils ont dîné, ils sont allés directement au lit, et ils ont dormi au moins douze heures, car c'était ça qui était important - on l'a bien constaté dans les grands coups de batte qu'ils ont su donner hier - après le déjeuner, ils se sont de nouveau reposés puis il se sont rendus au stade.

Voilà en tout cas tous les problèmes qui se sont présentés. Heureusement, nous avons appris le samedi soir, vers dix heures trente - j'étais alors au meeting de la Centrale des travailleurs de Cuba - que la réponse était positive et que tous les visas manquants seraient délivrés.

Le plus curieux du cas, c'est qu'Ordaz s'était rendu l'an dernier à Washington pour recevoir - tenez-vous bien ! - un prix de l'Organisation panaméricaine de la santé et qu'il n'y avait eu aucun problème de visa. Qu'est-ce qu'Ordaz avait bien pu faire d'horrible pour ne pas pouvoir aller à Baltimore, alors qu'il était allé à Washington recevoir un prix de l'OPS ? Tout ceci n'avait ni queue ni tête.

Les fonctionnaires nord-américains nous ont dit qu'ils feraient un grand effort toute la nuit pour que les visas soient prêts le lendemain à dix heures. Mais cela nous obligeait de toute façon à utiliser la variante de l'entraînement le matin à Cuba, parce que si nous envoyions trop tôt les gens à l'aéroport et que les visas prennent du retard, nous perdions l'entraînement ici et là-bas. La décision a donc été : entraînement léger ici dans la matinée, et départ l'après-midi. Et les visas sont bien arrivés comme prévu.

J'ai bien l'impression que quelqu'un a pris cette décision absurde, mais pas au plus haut niveau du gouvernement. En effet, dès que des législateurs de là-bas, des personnalités influentes, et bien des personnes ont appris la nouvelle, ainsi que les dirigeants des Grandes Ligues eux-mêmes, ils ont commencé à faire des démarches. Le fait est que la réponse a pris six heures, mais les termes en étaient encore imprécis : les fonctionnaires feraient les meilleurs efforts pour que les visas soient prêts. Voilà l'histoire.

Il faudrait voir d'où est partie cette idée absurde de mutiler notre délégation d'un bon tiers sans le moindre argument justifiable. C'est d'ailleurs là que, tous unis, nos joueurs et les autres ont pris la décision de n'accepter aucune excuse injustifiable. Ce n'est pas le gouvernement qui l'a prise, mais eux-mêmes qui l'ont discutée et approuvée.

Avant qu'ils aillent se coucher à minuit, nous les avions déjà informés que la question était réglée, mais qu'il valait mieux ne pas partir dans la matinée au cas où les visas prendraient du retard. Voilà le dernier obstacle qu'il a fallu vaincre.

Il faut reconnaître en toute honnêteté que les plus hautes autorités nord-américaines, qui se sont vu impliquées dans des difficultés pour une raison ou une autre, ont maintenu à tout moment la volonté que le match se déroule et qu'elles étaient décidées à respecter dans toute la mesure du possible ce qui avait été accordé. La seule impossibilité a été celle des avions.

Les autorités douanières de Baltimore ont donné toutes les facilités pour que nos sportifs puissent arriver à l'hôtel à neuf heures, tandis que les autorités chargées de la sécurité ont aussi largement coopéré. On annonçait des tas de choses épouvantables et en fait il ne s'est rien passé. Il était absolument impossible de vouloir effrayer un sportif ou un membre de cette délégation.

Le maire de Baltimore - en poste depuis plusieurs années, quelqu'un de magnifique, qui a visité notre pays et qui a été avec nous le jour du match aller - a fait partie de gens qui se sont mobilisés pour trouver des solutions aux problèmes et qui ont coopéré au maximum.

La population de Baltimore a été hospitalière, respectueuse, très intéressée par le match et désireuse qu'il se déroule en paix. Elle était intéressée par le sport, non par les groupuscules de politicards qui voulaient troubler l'ordre et qui ont effectivement tenté de le faire plusieurs fois. C'est de cette question-là que quelqu'un du public voulait que je parle il y a un moment.

Monsieur Peter Angelos, le principal actionnaire et directeur des Orioles, a eu en particulier une attitude excellente et courageuse. Aussi bien durant les années où il a lutté pour organiser cette rencontre que tout à la fin, pour surmonter les difficultés et pouvoir concrétiser ce match à La Havane, tout en sachant qu'il aurait lieu alors que le championnat commençait aux USA et que nous étions, nous, au beau milieu du nôtre. Et il est reparti de notre pays vraiment reconnaissant, satisfait des égards et de l'hospitalité dont il avait fait l'objet. Il a été le premier dans cette bataille.

Il a assisté à ma droite au match aller, et je le voyais tendu. Personne ne savait qui aller gagner. Alors je lui ai dit en blaguant : "Après tous les efforts que vous avez faits, ce serait dommage..." Ou alors : "Les actions de votre société vont baisser si vous perdez." Nous voulions gagner, mais nous avons perdu. Je me consolais en pensant : il vaut mieux que les Orioles gagnent ici, c'est presque une récompense pour quelqu'un qui a tant lutté, bien plus que nous, pour organiser ce match. Le match que nous devons gagner, c'est le match retour, là-bas. Il a eu une très noble attitude, ainsi d'ailleurs que d'autres membres, d'autres personnalités et d'autres dirigeants des Grandes Ligues.

La foule qui a assisté était respectueuse, et manifestait son enthousiasme. Nos gens à nous ont aussi emporté là-bas des trompettes, des crécelles, des cymbales et tout le reste, mais le principe était le suivant : ne rien faire qui puisse vexer les gens ou gêner les sportifs. En cas de home-run, pendant la course autour du diamant, vous pouvez jouer de tous ces instruments, ou alors entre deux manches, et nous avons entendu de fait des trompes. Et puis il y avait Armandito le teinturier, parmi les plus illustres membres de la délégation, en train de diriger l'orchestre (applaudissements).

Mais il fallait surtout qu'ils soient bien polis, ne rien faire contre les coutumes de là-bas. Si la coutume de là-bas est de se taire quand la balle est en jeu, alors que tout le monde se taise. Je leur avais même recommandé d'animer les gradins et de faire tout le bruit possible au moment où cela ne gêne absolument pas. Ne faites rien qui puisse heurter la sensibilité du public. Ça, en premier.

En second, ne vous laissez pas provoquer, ne leur donnez pas le plaisir de vous voir réaliser une action violente. Si les provocateurs passent à côté de vous, ne dites rien; s'ils disent des bêtises, ne dites rien. Soyez sereins, calmes, au maximum. Comme je sais bien que les Cubains n'aiment pas qu'on les insulte, je leur ai même dit : si on vous insulte, suivez votre chemin, faites la sourde oreille. A moins qu'on ne vous agresse : dans ce cas-là, défendez-vous de toute votre énergie. Et c'est bien comme ça que ça s'est passé (applaudissements).

Faites donc retentir la trompe, pour voir un peu, on n'a pas bien entendu (la trompe retentit et applaudissements). On dirait un train, une locomotive. (On entend sonner de nouveau la trompe.) Eh, maintenant, nous sommes en pleine manche, c'est notre tour à la batte ! (Rires et applaudissements.) Je t'ai demandé de la faire sonner une fois, mais pas plus...

Nos gens ont agi avec toute l'éducation requise, sans cesser d'encourager notre équipe. Ils n'étaient que trois cents, et on aurait dit qu'ils étaient des milliers. Et plus, plus de trois mille résidents aux Etats-Unis de différentes nationalités, dont des Cubains, sont allés les soutenir au stade.

Oui, le public a été très respectueux et il a même conspué et condamné certains individus qui se sont lancés à différentes reprises sur le terrain pour provoquer. C'était stupide, bien entendu, de la part de ces gens-là qui croyaient pouvoir y gagner quelque chose et qui n'y ont gagné que l'antipathie du public.

Le cas auquel on a fait allusion ici est celui d'un arbitre à nous de seconde base, quand un de ces provocateurs est arrivé en courant sur lui. À la télévision que nous regardions, nous, le début de la scène n'apparaît pas. Mais ensuite la CNN qui l'avait filmé, elle, l'a retransmis.

Tout apparaît dans cette séquence, l'endroit exact où se passe l'incident, l'attitude agressive de cet individu qui arrive par-derrière la position de l'arbitre en brandissant une banderole et en se précipitant sur lui, et l'espèce de lutte gréco-romaine qui s'engage entre les deux. Le type devait s'y connaître un peu en arts martiaux, parce qu'il tente même de faire une prise à l'arbitre, mais celui-ci, bien plus rapide, ou alors un connaisseur de judo ou de lutte gréco-romaine, parvient à s'en débarrasser, réussit à le maîtriser, et pourtant le type en question n'était pas un gringalet, et à le poser "délicatement" (rires et applaudissements) sur le "gazon". Oui, d'une manière très élégante ! Et il le maîtrisait, sans même lui avoir donné un coup de poing ou un coup de pied. Un vrai champion de la sérénité, notre arbitre ! Et pourtant on voyait bien qu'il était furieux, vraiment indigné. Quand il est rentré avec la délégation, j'ai discuté avec lui, je voulais qu'il voit les images télévisées, et je crois qu'en fait, on les a retransmises ensuite.

Mais il est inconcevable qu'un individu puisse descendre ainsi sur un terrain et arriver jusqu'à la seconde base, et agresser un arbitre. Ce n'est pas qu'il portait une banderole, non, mais qu'il vienne quasiment la lui frotter sur le visage, comme on l'a bien vu à la télévision. Mais quelle sérénité que celle de notre arbitre ! Il maîtrise le type et remet ensuite délicatement à la police la banderole qu'il brandissait. Voilà l'incident. Notre arbitre disait que la police n'avait pas fait son travail. Et je lui disais qu'il fallait se mettre à sa place, parce que ces gens-là ont toujours fait l'objet d'une grande tolérance, qu'ils se lancent sur le terrain et qu'ils parviennent toujours à les surprendre. Il est très difficile d'empêcher certaines de ces stupidités. Encore que celui-là est quand même arrivé jusqu'à la seconde base ! Comment a réagi le public ? En le sifflant.

J'espère qu'on prendra quelques bonnes photos de cet art martial avec lequel notre arbitre a rétabli la discipline face à cet agresseur. La police l'a d'ailleurs remercié ensuite de sa collaboration, je crois.

Nos joueurs, eux, observaient tout ça et sont restés sereins. Les Orioles ont confiance dans nos arbitres, et ça nous honore, parce qu'après avoir vu la façon d'agir de notre arbitre du marbre ici, ils ont voulu qu'il le soit de nouveau là-bas. Pourquoi ? Pour son sérieux, pour son impartialité. Ce qui est d'ailleurs un principe de notre sport.

Cet incident a été le seul visible, et les provocateurs ont été ridiculisés. On ne peut nous accuser de rien dans ce cas, parce qu'un arbitre sur qui fonce un individu doit défendre la base dont il est responsable. Ce type-là ne s'est pas lancé sur la première base, ou sur la troisième, ou encore sur le sentier correspondant au champ droit ou au champ gauche. Non, il est allé en pleine centre du diamant.

Voilà l'histoire. Ce qu'on a vu à la télévision est en fait très bref, juste le moment où arrive cet individu. Par contre, toute cette bagarre se voit au complet, elle a dû durer une minute, il me semble. Puis l'ordre est rétabli et l'arbitre regagne son poste.

Je crois savoir que la police a arrêté un groupe de ceux qui se sont lancés plus d'une fois sur le terrain. Il se peut qu'on les relaxe rapidement, mais c'est le moins important. L'important est ce geste d'arrêter quatre de ces voyous qui violent toutes les normes et qui mettent les autorités, même s'ils s'en fichent pas mal, dans une fâcheuse posture.

Tous les spectateurs voulaient voir un match réussi, voir un bon spectacle sportif, encore qu'ils ont eu en prime et gratis un combat de lutte libre ! (Applaudissements.) Voilà l'histoire.

Je vais ajouter quelque chose. Vous avez vu que notre délégation était nombreuse. Et vous penserez : combien d'argent aura dépensé notre pays pour envoyer une telle délégation ! Lors des conversations avec M. Peter Angelos, qui s'est toujours offert à coopérer, on a beaucoup discuté pour savoir où aboutiraient les recettes. La décision finale a été que chacun disposerait des siennes à sa guise. Les nôtres n'étaient pas très élevées, mais là-bas, le ticket d'entrée est cher : dix dollars au minimum et trente-cinq au maximum. Avec un stade de 48 000 places, cela fait une recette de près d'un million de dollars. A quoi il faut ajouter toutes les recettes découlant de la publicité, des retransmissions télévisées, des annonces, etc. Ici, il n'y avait rien de tout ça et il n'y avait pas le temps de le préparer. Ici, les recettes de télévision couvraient à peine les dépenses, mais là-bas les recettes étaient élevées et il a été décidé qu'une partie servirait à payer les frais de voyage de notre équipe et de notre délégation. Autrement dit, les Orioles ont payé les frais d'avion, le voyage aller-retour, et les frais d'aéroport de l'appareil. Ces services se sont montés, je peux vous le dire, à près de 200 000 dollars. Les Orioles ont aussi pris en charge tous les frais d'hôtel et les autres frais à Baltimore. Ainsi donc, le voyage de notre délégation digne et fournie n'a pas coûté un seul centime au pays.

Parfait. Les Orioles ont tout accompli au pied de la lettre, ils nous ont comblés d'égards, il ont invité une délégation de petits joueurs de base-ball de deux catégories d'âge pour jouer une partie. Vous êtes-vous mis d'accord, ou alors est-ce que ce sont eux qui vous ont proposé de mélanger les équipes ? (On lui répond que la proposition est venu des Orioles.) Que des sportifs déjà formés se livrent à une compétition, c'est bien, mais il valait mieux que des enfants fassent un match en mélangeant les joueurs des deux pays. Quand les Orioles sont venus ici, ils avaient aussi amenés des enfants, et inviter les nôtres là-bas a été un geste de réciprocité.

Les joueurs des Orioles ont été amicaux, respectueux, décents envers les membres de notre équipe, ils étaient indignés de ces provocations, surtout à cause de l'incident de ce type qui s'est précipité sur notre arbitre. Il faut le reconnaître. Et je pense que tous les amateurs des Etats-Unis ont eu l'occasion de voir un grand match, ainsi que dans toute la Caraïbe, en Amérique centrale, partout, et peut-être même en Europe, où il y aussi des amateurs, en Italie, en Hollande, ou encore au Japon. J'imagine que des millions et des dizaines de millions de personnes ont vu ce match historique.

Nous autres, nous ne sommes rien allés chercher là-bas, que cela soit clair : pas d'avantages économiques, pas d'avantages politiques. Pas de publicité non plus. En fait de pub, les ennemis de cette Révolution ne pouvaient pas nous en faire plus avec leurs crétineries pendant quarante ans ! C'est comme un boomerang qui leur revient dessus. Quand les Nord-Américains viennent ici et voient un match comme le match aller et un peuple comme celui qu'ils ont connu à cette occasion, ils s'étonnent; quand ils constatent la qualité de notre équipe, l'attitude de nos joueurs, ils ne sortent pas de leur étonnement et ils sentent plus de respect pour notre pays.

Nous considérons ces matchs, dont l'organisation a pris bien du temps, comme un fait positif, constructif, pacifique.

Nous ne devons pas nous vanter de notre victoire, d'avoir battu une équipe excellente, qui possède une grande quantité de joueurs capables de frappes de home-run. L'un d'entre eux en a eu cinquante la saison dernière. Il s'agit d'une équipe forte, très puissante à la batte, possédant de nombreux excellents lanceurs. Ils ont joué fair-play, comme nous. Hier, surmontant les grands obstacles que j'ai mentionnés, notre équipe a remporté une victoire convaincante.

Qu'est-ce que ça veut dire ? Que nous pouvons pas dormir sur nos lauriers, que nous venons juste de commencer, qu'il faut former toujours plus de joueurs, qu'il faut perfectionner nos qualités, nos habilités, nos capacités dans ce sport. En effet, même si toutes les disciplines sportives ont apporté des satisfactions à notre pays, nos joueurs de base-ball et leurs compagnons ont été hier les protagonistes d'un événement vraiment historique dans tous les sens du terme, à plus forte raison - et il faut le souligner - quand il a représenté quelque chose de constructif, un exemple d'activité pacifique et civilisée.

Bien du temps devra s'écouler avant que les différends avec ce pays-là soient surmontés, mais il est très important qu'il apprenne à nous respecter et qu'il le fasse.

Nous venons, tout récemment, de livrer une rude bataille à Genève, à la Commission des droits de l'homme des Nations unies, où les USA ont remporté une victoire à la Pyrrhus honteuse. Quelques heures encore avant le vote, Cuba disposait d'environ cinq voix de plus qu'eux. Alors, comme ils se sont rendus compte qu'ils allaient essuyer une défaite humiliante, ils ont été contraints durant toute la dernière nuit et jusqu'au petit matin d'exercer des pressions brutales sur de nombreux pays du tiers monde, si bien que cinq de ceux qui allaient voter en faveur de Cuba se sont abstenus et qu'un pays qui allait s'abstenir a voté contre nous. Et c'est cela qui, de pair avec le soutien unanime de tous les membres de l'OTAN et de certains autres alliés inconditionnels , a fait la différence d'un seul vote en leur faveur. Je ne le cite qu'à titre d'exemple, parce que vous savez le respect et le soutien dont Cuba jouit dans le monde.

Je crois qu'à un moment pareil, des faits comme le match d'hier à Baltimore sont plus importants que jamais, car ils peuvent servir d'exemple, d'inspiration et de preuve qu'il est possible, en agissant d'une façon sensée et raisonnable, d'atteindre certaines choses, de faire des pas important en faveur de l'entente, du respect et de la paix entre les peuples.

Et cette rencontre sportive a l'importance que je vous ai expliquée en matière de concepts, d'idées.

Mais il existe un autre conflit bien plus important : en plein coeur de l'Europe, des attaques aériennes brutales et destructrices sont en train de semer la désolation, la mort et la terreur dans une population de plusieurs millions de personnes, et elles ont terriblement aggravé les conflits religieux et ethniques qui, de pair avec la terreur que répandent les bombes et la guerre, ont entraîné l'exode massif de centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants. Ainsi donc, au seuil du prochain millénaire, les membres de l'OTAN, dont les Etats-Unis, sont lancés dans ce qu'on peut appeler, que cela leur plaise ou non, un génocide : en effet, supprimer l'électricité et le chauffage en plein hiver, en une seule nuit, à un million de personnes, couper toutes les communications, éliminer toutes les sources d'énergie et de transport, détruire les établissements civils qui prêtent des services vitaux à la population et convertir en ruines tous les moyens de vie créés par une nation, tuer directement ou blesser des milliers de civils, en pleine furie destructive, par erreur ou par irresponsabilité, détruire les moyens d'information et intensifier la guerre psychologique pour tenter d'amener un pays à la reddition à grands coups de techniques et de bombes, c'est, sans ambages, un grand génocide.

L'Europe est impliquée dans un conflit dangereux pour elle-même et pour le reste du monde. Elle est en train de créer une précédent extrêmement grave de mépris du droit international et de l'Organisation des Nations unies, ce qui complique toujours plus la situation.

Nous sommes d'avis que seul un règlement politique, et non militaire, peut dénouer une telle situation, dans le respect des droits de toutes les ethnies de cette nation, de leurs religions, de leurs cultures, un règlement pour les Serbes et pour les Kosovars. Je suis absolument convaincu que ce problème ne se réglera pas par la force. Je suis absolument convaincu que toutes les techniques militaires se brisent sur la volonté de résistance d'un peuple, quel qu'il soit, décidé à lutter. Je suis convaincu, comme je le suis en ce qui concerne ce pays-ci, qu'un peuple décidé à lutter, aucune puissance, aussi forte qu'elle soit, ne peut le faire plier.

Les agresseurs de la Serbie ont cru qu'il allait s'agir d'une simple promenade, d'une aventure de deux ou trois jours, que les Serbes allaient se rendre à peine tombées les premières bombes. Or, plus de quarante jours se sont déjà écoulés, des milliers et des milliers de bombes sont déjà tombées, et nous ne percevons aucun symptôme d'affaiblissement dans la volonté de lutte de la Serbie. Nous y avons trois diplomates équipés de téléphones portables - le seul moyen de communication - qui nous informent de ce qu'il se passe à Belgrade jour après jour, et après chaque nuit de bombardements dantesques, qui nous parlent du moral extraordinaire du peuple serbe en général et de la population de Belgrade en particulier, dont le ciel est constamment sillonné d'avions volant en rase-mottes, ébranlant l'espace, semant la terreur, traumatisant des centaines de milliers et des millions d'enfants et d'adolescents peut-être pour toute la vie, des jeunes, des femmes et des personnes âgées, du fait du bruit des explosions et des attaques incessantes que l'on annonce toujours plus violentes. Par là, je le répète une fois de plus, on ne réglera jamais le problème. Je suis convaincu qu'il ne reste d'autre solution à toutes les parties que de chercher un règlement politique, ce qui est possible si elles font preuve d'un peu de bon sens et de rationnel.

Quand nous avons appris ici le début de ces attaques, nous avons compris aussitôt qu'elles seraient inutiles, qu'elles provoqueraient une catastrophe.

Je connais l'histoire de la seconde guerre mondiale, l'invasion de la Yougoslavie par les troupes nazies et la résistance que celle-ci leur a opposée pendant des années. Les agresseurs actuels ne veulent même pas employer de troupes terrestres, parce qu'ils croient que les bombes intelligentes et les missiles téléguidés peuvent régler le problème. Eh bien, ce problème ne se règle pas à coups de missiles, ni de bombes, ni en lançant des forces terrestres, parce que, quand il est décidé à lutter, un peuple se bat partout, dans toutes les directions, et peut convertir chaque édifice en une forteresse, chaque homme et chaque femme en combattant isolé. Non, la question n'est pas la quantité de divisions blindées, de groupes d'artillerie, de flottes navales et aériennes.

Nous ici, nous savons très bien comment nous devrions mener notre lutte dans des conditions analogues, des millions de personnes le savent, et aucun de ces procédés ne servirait jamais à rien aux agresseurs. Ce pays-ci, personne ne peut le conquérir. Personne d'ailleurs ne peut conquérir aucun pays prêt à se battre. C'est une erreur de croire le contraire. Cela s'est déjà passé au Viet Nam, et les Etats-Unis n'ont fini par s'en persuader qu'après avoir perdu 50 000 vies, et avoir tué 4 millions de Vietnamiens. Eh bien, ils se retrouvent dans une situation analogue là-bas, qui peut sérieusement se compliquer si les Serbes de partout se solidarisent avec les Serbes de Yougoslavie. Dès lors, la situation politique de la Russie deviendrait intenable, parce que les liens ethniques entre les deux peuples sont solides.

Les autres peuples tireront leurs conclusions. J'imagine que les Russes tireront les leurs de tout ce qu'il leur est arrivé et de tout ce qu'il peut leur arriver en voyant pleuvoir les bombes d'une alliance militaire toujours plus arrogante, toujours plus orgueilleuse, rendue toujours plus furieuse par une résistance qu'elle n'avait pas prévue. L'Europe et l'OTAN sont devenues les otages d'un facteur subjectif : la décision éventuelle des Serbes, qu'on peut supposer peu enclins à la reddition après la destruction totale de leur pays, de résister jusqu'au bout. Il coulait de source pour nous qu'il allait se passer ce qui est en train de se passer. Et cela ne veut pas dire que nous soyons contre les droits de quiconque, parce que nous soutenons les droits des Serbes autant que ceux des Kosovars.

Quand les USA nous ont informé récemment qu'ils allaient utiliser la base navale de Guantánamo pour accueillir 20 000 réfugiés du Kosovo, nous avons été aussitôt d'accord - et je crois que c'est bien la première fois que nous le sommes avec quelque chose que font les Etats-Unis par rapport à cette base ! Ils n'ont pas demandé notre autorisation ou notre accord, bien entendu; ils ont eu tout simplement l'amabilité de nous informer de ce qu'ils allaient faire, nous en expliquant les conditions : un accueil à durée limitée, dans l'attente d'un règlement du conflit, etc., et ils ont dû tomber des nues - comme ils connaissent mal notre pays ! - quand nous leur avons répondu : non seulement nous sommes d'accord pour que vous y accueilliez 20 000 réfugiés kosovars, ou plus, mais nous sommes même prêts à coopérer dans toute la mesure du possible à leur accueil, à offrir nos services hospitaliers s'il le faut, nos médecins, n'importe quelle coopération à notre portée.

En fin de compte, les Etats-Unis ne les ont pas envoyés et ils ont fait preuve d'intelligence en revenant sur cette décision qui allait leur gagner, en fait, de nombreuses critiques. Parce qu'il faut savoir qu'aucun des membres de l'OTAN, qui ont lancé tant de bombes là-bas, ne veut vraiment accueillir de réfugiés. Il y a beaucoup de xénophobie et d'égoïsme en Occident. Ils se sont offerts à en accueillir de 80 000 à 100 000, mais ils n'en ont reçu en fait que quelques milliers à peine et n'ont rien fait de bien significatif parce qu'ils ne veulent pas de réfugiés kosovars chez eux. L'intention des Etats-Unis vis-à-vis de Guantánamo était une erreur politique, mais quand ils nous ont informés, nous avons dit : d'accord.

Je vais même aller plus loin. Il existe une institution humanitaire internationale qui se consacre aux réfugiés et qui organise beaucoup d'activités de soutien quand apparaissent des problèmes de ce genre, la Communauté de Saint-Egide, liée à l'Eglise catholique.

Nous avons beau condamner énergiquement les attaques brutales et génocides menées contre la population serbe, nous partageons néanmoins les souffrances de ces centaines de milliers de réfugiés, qui sont le résultat non seulement d'une série de facteurs de longue date, et pas seulement historiques, mais encore de la désintégration de la Yougoslavie qui avait vécu en paix pendant les quarante ans ayant suivi la seconde guerre mondiale.

Ceux qui ont désintégré la Yougoslavie et y ont attisé les conflits nationaux, ethniques et religieux, sont en grande partie responsables de ce qui se passe maintenant, et bien des hommes d'Etat et des hommes publics d'Europe savent pertinemment la responsabilité qui incombe à celle-ci dans ces événements. Ceux qui viennent de décider à la légère de lancer toute leur technologie militaire, dont on connaît la puissance et la sophistication, contre ce qu'il restait de l'ancienne Yougoslavie ont une très grande part de responsabilité dans ce qu'il s'y passe et dans les souffrances de ces centaines de milliers de réfugiés.

Quand je parle de règlements, je parle de règlements pour tous : les réfugiés, les Kosovars, les Serbes vivant dans cette province, les autres nationalités, et toutes les nations qui constituent ce qu'il reste de la Yougoslavie. Autrement dit, d'un point de vue humain, nous nous solidarisons avec les souffrances de tous les gens concernés. Et cela est si vrai que quand les dirigeants de cette Communauté de Saint-Egide nous ont rendu visite voilà quelques semaines, début avril, et nous ont expliqué ce qu'ils faisaient pour s'occuper de ces malheureux réfugiés et pour les soigner alors qu'ils ne comptent qu'une trentaine de médecins, eh bien - et c'est la première fois que je vais le révéler - nous leur avons dit : Ecoutez, nous n'avons pas beaucoup de ressources, mais nous avons un capital humain, et si, pour s'occuper de ces centaines de milliers de réfugiés kosovars qui vivent dans ces camps précaires, il vous faut du personnel médical, notre pays est prêt à coopérer en mettant à votre disposition d'une façon absolument gratuite un millier de médecins (applaudissements).

Nous savons depuis longtemps, par expérience, que la langue n'est pas un obstacle dans ces cas-là. Un enfant de six mois ne parle pas, et pourtant un médecin peut parfaitement le soigner. Nous avons fait part de cette offre aux dirigeants de la Communauté de Saint-Egide le 5 avril au soir, soit douze jours après le début des attaques de l'OTAN.

Vous connaissez les capacités médicales de notre pays, et vous savez que toujours plus de nos médecins exercent dans les endroits les plus incroyables. J'aimerais vraiment que les jeunes aient une idée des conditions dans lesquelles travaillent nos médecins en Amérique centrale, pour avoir un exemple de ce qu'ils peuvent faire - digne de ce que font nos sportifs et nos athlètes qui ont renoncé à des dizaines de millions de dollars. Il faut voir ce que font nos médecins dévoués dans des lieux écartés, privés bien souvent d'électricité, de communications, de tout, où les lettres ne peuvent arriver vraiment que de loin en loin, il faut voir combien ils se sont identifiés aux problèmes et quels services ils prêtent, uniquement compensés par quelque chose qui les rend très heureux : la reconnaissance et la gratitude de la population qu'ils soignent.

J'ai parlé à certains. C'est quand vous avez l'occasion de voir des exemples de ce genre que vous vous rendez compte de ce dont est capable l'être humain quand vous cultivez en lui les meilleurs sentiments et les meilleures qualités, qu'il s'agisse de nos médecins qui se trouvent en Amérique centrale, en Haïti, ou qu'il s'agisse de ceux qui sont en Afrique ou qui vont y aller.

Nous avons parfois dit, comme une preuve du capital humain créé par la Révolution, que si quelques pays industriels et riches se proposaient ensemble de réunir deux milles bénévoles pour aller travailler dans ces endroits-là, ils n'y arriveraient pas. J'ose l'affirmer catégoriquement. Les Etats-Unis ne pourraient pas réunir deux mille médecins bénévoles pour aller travailler là où exercent nos médecins. Et si je le dis, c'est parce que je suis impressionné, vraiment touché, en apprenant dans les détails ce que font nos médecins.

Voilà pourquoi notre pays peut parler de cent, de deux cents, de cinq cents ou de mille médecins, parce que je suis sûr que les volontaires ne manqueraient pas, en cas de besoin, pour aller en Albanie, en Macédoine, n'importe où il y a des réfugiés, voire au Kosovo même, parce que s'il y a quelque chose qui n'a jamais fait défaut dans ce pays-ci et n'y fera jamais défaut, je peux vous l'assurer, c'est le courage (applaudissements).

Quand vous dites à un Cubain : "Ecoute, il y a deux endroits où aller, mais l'un est plus risqué que l'autre. Lequel préfères-tu ?", il vous répond sans hésiter : le premier. Telle est notre tradition d'héroïsme. Et pas seulement les hommes. Les femmes, pareil, ce qui est très encourageant. Bon nombre de nos médecins dans ces endroits reculés sont des femmes.

Les Cubains ont aussi été au Nicaragua, vous vous en souvenez, plus de deux mille enseignants dans les endroits les plus reculés. Les habitants ne l'oublieront jamais. Dernièrement, à l'occasion des programmes médicaux de notre pays à l'étranger, le syndicat de la santé a remis des livres où apparaissent la signature de plus de trois cent mille travailleurs du secteur, médecins, personnels infirmiers, techniciens, et même de ceux qui travaillent dans les services et les activités hospitalières, pour exprimer leur disposition de prêter n'importe quel service de ce genre. Et notre système de santé n'en souffrira pas.

Nous pouvons dire avec fierté que l'Ecole latino-américaine de médecine a commencé à fonctionner, qu'elle accueillera chaque année 1 250 élèves d'Amérique latine (applaudissements), dont une grande partie provient de zones indigènes, d'endroits pauvres.

Notre offre de bourses pour suivre des études dans cette école a causé une grande commotion dans bien des pays. Bien des gens s'y intéressent, la visitent. Elle n'est pas encore inaugurée, mais je suis convaincu que ce sera une excellente école, capable de transmettre les conceptions cubaines sur le rôle du médecin et sur la nature de sa mission. Et c'est là quelque chose de fondamentale. Ce sont des jeunes qui se connaîtront, en provenance de partout en Amérique latine.

Les nouvelles qui nous parviennent de cette école sont vraiment très bonnes, et j'ai l'espoir que ce seront de meilleurs étudiants que les Cubains, parce que les nôtres se sont accoutumés d'une façon ou d'une autre à avoir des bourses et des possibilités d'études, tandis que ces jeunes gens qui viennent de régions très pauvres, de familles généralement très modestes, n'ont jamais rêvé - ou alors uniquement rêvé - de la possibilité de faire des études de médecine. Et la médecine de notre pays possède un grand prestige et un prestige croissant dans le monde.

Oui, ce seront de meilleurs élèves que nos élèves et cela nous satisfait beaucoup, car ils seront les porteurs de la conception cubaine : le médecin comme gardien de la santé, comme missionnaire de la santé et de la vie. J'ai parfois employé le terme de : prêtre de la santé et de la vie. Et voilà pourquoi Cuba peut faire ce qu'une nation de presque 300 millions d'habitants, la plus riche du monde, ne pourrait pas faire : réunir 2 000 bénévoles dans ce même but.

Combien notre pays peut-il en mobiliser ? S'il en fallait deux mille, comme ceux que nous avons proposé en Amérique centrale - les deux mille n'y sont pas encore, car cela prend du temps, ça ne dépend pas de nous, mais d'eux, parce qu'il faut créer les conditions, et s'il ne s'agissait que de nous, ils y seraient déjà - eh bien, nous en envoyons deux mille maintenant, et en août nous en diplômons deux mille cinq cents. Et le creuset pour former des médecins, et de bons médecins, il est là, dans nos vingt et une facultés, dont aucune n'a été fermée en pleine période spéciale, dans nos vingt-deux facultés, en y ajoutant maintenant l'école latino-américaine (applaudissements). Un énorme potentiel, pas seulement sportif, mais encore scientifique et médical.

Si j'ai osé vous expliquer tout ça, c'est parce que, tout en condamnant énergiquement, du fond de mon âme, le crime qu'on commet aujourd'hui contre une nation, je partage et défends les droits de tous ceux qui ont été soumis à de terribles souffrances pour une raison ou pour une autre. Que cette occasion nous serve à ratifier notre disposition d'envoyer les médecins dont auraient besoin tous les camps de réfugiés kosovars, en attendant le retour dans leur pays. Et quand ce jour viendra - je ne doute pas que ce serait promptement si on cherchait un règlement politique sans orgueil ni arrogance - nous serions prêts à rentrer avec eux pour les aider à se réinstaller dans le territoire du Kosovo. Voilà la dernière idée que je voulais exprimer.

Comment voyons-nous - et comment souhaitons-nous que vous voyiez - le match contre les Orioles et cette victoire que nous fêtons ? Eh bien, comme quelque chose de constructif, comme un exemple qui devrait stimuler les neurones et le sens des responsabilités de ceux qui ont entre les mains la possibilité d'une solution à ce conflit. Le petit exemple de cette rencontre là-bas à Baltimore, amicale, pacifique, malgré les énormes différends que nous avons avec ce pays-là, représente aussi dans ce sens un événement historique. Voilà pourquoi nous ne pouvions, ici, rester les bras croisés quand le match a pris fin après minuit, et de quelle façon ! Ce match a prouvé bien des choses qui nous ont confortés dans notre conviction que nous continuerons de progresser dans ce domaine et que nous aurons toujours plus d'occasions de féliciter nos sportifs dans cette discipline et dans d'autres. Et alors nous nous sommes dit : non, on ne peut pas se contenter d'une simple note de félicitations dans les journaux, il faut faire autre chose.

Il était une heure du matin. Nous venions d'avoir l'énorme manifestation du 1er Mai, et aujourd'hui était une journée de travail et de classe,mais nous nous sommes dit pourtant : il faut accueillir les sportifs comme il se doit (applaudissements). Et on a organisé la mobilisation en deux heures, toutes les forces se sont mises en branle, les syndicats, les organisations de masse, le parti. Personne n'a fermé l'oeil. Ni Lazo (Esteban Lazo, premier secrétaire du parti à La Havane), ni les cadres du parti, ni ceux des organisations. La formidable machine qu'est ce peuple uni s'est mise en mouvement et elle a permis de mobiliser en quelques minutes allez savoir combien de gens !

Je suis parti de l'aéroport avant les sportifs pour arriver avant ici à l'Université, mais il y avait déjà une mer de peuple sur toute l'avenue qui conduit à l'aéroport, et je ne savais pas comment nous allions arriver ici. Et ici, c'est pareil, allez savoir combien il y a de monde ? Ici, ce n'est pas comme sur la place de la Révolution que vous pouvez embrasser d'un simple coup d'oeil. D'ici, je ne vois pas ceux qui se trouvent au-delà du premier palier de l'escalier. C'est très mauvais de parler à des gens que vous ne voyez pas, parce que, quand vous les voyez et que vous constatez qu'ils ne vous écoutent pas, vous pouvez au moins leur faire signe, leur faire un peu honte pour rétablir l'ordre, le silence, comme cela se passe ici maintenant.

Je vous demande pardon de vous avoir fait passer tant de temps en plein soleil, mais il me semble que cette mobilisation en valait la peine (applaudissements et slogans de : Fidel, Fidel !)

Les sportifs ont envie de rejoindre leur famille. D'ici, ils vont aller à la cité olympique pour récupérer leurs affaires, et de là-bas ils vont rentrer chez eux. Nous sommes le 4 mai, et dans une quinzaine de jours, mercredi, ils vont de nouveau se retrouver pour reprendre l'entraînement et aspirer à une place dans la sélection nationale. L'équipe cubaine n'est pas encore constituée et il y a où puiser. Mais ils vont d'abord prendre un peu de repos pour retrouver ensuite l'entraînement.

Je veux vraiment féliciter la population de La Havane qui a battu un record, mais je n'en attendais pas moins. On n'a jamais organisé une mobilisation aussi grande en si peu de temps. Les dirigeants des Comités de défense de la Révolution ont pris le pas de course au petit matin, ils sont allés réveillés le recteur de l'Université et tous les autres; moi, pour ma part, j'ai réveillé un certain nombre de gens, encore à moitié endormis et encore tout heureux de la victoire, et je leur ai dit : non, non, la question n'est pas là, la question est qu'il faut se mobiliser. Il faut alerter les journalistes, la radio, la télévision, ceux du programme de la matinée... On a mobilisé je ne sais combien de gens en quelques heures ! On avait même pensé à la place de la Révolution, mais c'est vraiment trop grand, et il était impossible d'y installer tous les équipements technique requis en si peu de temps.

Cette tribune, il aurait peut-être mieux valu l'installer ailleurs, peut-être un peu plus haut, pour pouvoir voir tous ceux qui sont par derrière. D'ici, je ne vois qu'à partir de la rue qui passe devant l'escalier.

Les élèves de l'école Lénine, on allait d'abord les envoyer je ne sais où, et c'est après que Lazo a décidé de les faire venir ici, et au premier rang (applaudissements). Je me réjouis beaucoup de vous voir ici. Je vous félicite en plus de la façon dont vous avez défilé le 1er Mai. Vraiment impressionnante, cette marche de votre école ! (Applaudissements.) Voilà pourquoi personne ne peut nous accuser de songe-creux. Oui, il faut rêver. Il faut rêver de choses, certes, mais il faut en même temps accomplir ce dont on rêve.

Je me souviens de ce rêve d'une école comme la vôtre, avec ses 4 500 élèves, voilà maintenant bien des années, de la façon dont on a choisi l'endroit, dont on a sélectionné les bâtisseurs, dont on a tracé les projets, pour l'installer à côté du Jardin botanique et tout près du parc Lénine. Eh bien, je peux vous assurer en toute franchise que cette école est encore meilleure que ce dont nous avions rêvé un jour (applaudissements). Et nous voulons que vous soyez toujours à l'avant-garde, toujours au premier rang. Ç'aurait été une grande erreur de la part de Lazo de vous déranger pour vous aligner le long de l'autoroute de l'aéroport et de ne pas vous faire venir ensuite devant cet escalier d'honneur, et de ne pas vous installer au premier rang comme les élèves émérites que vous êtes ! (Applaudissements.)

Quel meilleur endroit pour rendre hommage à nos sportifs victorieux que ce grand escalier d'honneur de l'Université qui a vu s'écrire tant de pages dans l'histoire de notre pays, ici, sous la statue de l'Alma Mater, dans cette université de Julio Mella et de José Antonio Echeverría, dans cette Université de tant de combattants héroïques ! Quel endroit plus symbolique que celui-ci pour que nos sportifs viennent y déposer leur drapeau !

Si ceux qui doivent prendre la décision me permettent de faire une proposition, je souhaiterais que ce drapeau soit conservé sur cette colline universitaire (applaudissements).

Tout ce que nos joueurs ont fait hier, tout ce que vous avez vu hier, prouve que quand nous scandons : "Le socialisme ou la mort ! La patrie ou la mort ! Nous vaincrons", c'est pour de bon. (Ovation.)


Notas

1 Le lundi 3 mai 1999, la sélection nationale cubaine de base-ball joue le match retour contre l'équipe professionnelle des Orioles (Baltimore), des Grandes Ligues des USA. Elle remporte la victoire par 12 à 6.  Le match aller s'était déroulé à La Havane le 28 mars 1999, les visiteurs l'ayant emporté 3-2 après des prolongations sur une équipe cubaine où manquaient plusieurs excellents joueurs retenus dans leurs équipes disputant alors la finale du championnat national et qui n'était pas encore adaptée à la batte en bois, obligatoire chez les pros, alors que les amateurs avaient joué pendant vingt ans avec la batte d'aluminium. C'était la première fois depuis le triomphe de la Révolution qu'une équipe nationale cubaine (qui truste depuis de très nombreuses années la quasi-totalité des titres amateurs en jeu, mondiaux, intercontinentaux, panaméricains ou olympiques) se mesurait à une équipe professionnelle nord-américaine des Grandes Ligues.
2 Un des meilleurs joueurs de base-ball cubain des dernières années.
3 Teófilo Stevenson, triple champion olympique de boxe, catégorie poids lourds.
4 Ville canadienne où se dérouleront les Jeux panaméricains en août.
5 Le plus grand stade de base-ball de La Havane.
6 L'équipe de base-ball de La Havane, vice-champion de la saison 1998-1999.
7 L'un des grands joueurs des dernières années, maintenant entraîneur de l'équipe nationale.
8 Chaque équipe passant alternativement à l'attaque et à la défense, chaque joueur se spécialise dans un rôle donné dans ces deux domaines. Le défenseur de troisième base doit être un bon lanceur parce qu'il doit lancer la balle jusqu'à la première base pour empêcher l'adversaire d'atteindre celle-ci.
9 Le joueur chargé de défendre le champ intérieur entre la seconde base et la troisième.
10 Celui qui remplaçait autrefois le lanceur quand venait son tour à la batte et qui ne joue donc pas à la défense pendant le match.
11 Une frappe qui expédie la balle hors des limites du terrain et permet donc au joueur de courir autour du diamant jusqu'au marbre (homebase) et de noter un point pour son équipe.
12 Un batteur doté de qualités spéciales qui lui permettent de tirer le meilleur profit d'une situation de jeu donnée.
13 Une frappe qui permet de lancer la balle de telle manière que le batteur a le temps de gagner en une seule fois la première base (jet), la seconde base ou la troisième base.

 

 

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